José, un « enfant rejet » en milieu scolaire

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Date de publication

samedi 01 mars, 2003

Ressource

Pierrette Trudel

Nous sommes très vulnérables et parfois complètement démunis devant les problématiques des enfants qui n’arrivent pas à trouver leur place en milieu scolaire, car nous savons toute l’ampleur qu’elles peuvent prendre si nous ne trouvons pas les moyens d’amener l’enfant à rebâtir son estime de lui-même, estime qui lui permettra de prendre sa place de façon constructive dans la société.

 

J’ai tenté de décrire José par le biais de certains de ses comportements, afin d’amorcer une réflexion nous permettant de mieux comprendre les enjeux qui sont en cause lorsqu’un enfant subit le rejet de ses camarades de classe. Cet exercice comporte cependant des limites certaines, car ce qui fait qu’un enfant est étiqueté « enfant rejet » est un mélange très complexe dont il est impossible de nommer tous les constituants, certains provenant plus de ce qui émane de la personne que du comportement lui-même.

 

José est un petit garçon de neuf ans (donc un élève de deuxième année du deuxième cycle du primaire, soit la 4e année). C’est un enfant qui est étiqueté « enfant problème », et ce, depuis sa maternelle. Chaque année, l’enseignante qui le reçoit sait qu’elle n’aura pas la tâche facile, puisqu’elle l’a déjà côtoyé dans la cour de récréation ou à la porte du bureau de la direction.

 

De milieu dit « défavorisé », abandonné presque complètement par son père (il peut être des semaines sans le voir), surprotégé par une mère qui comprend mal pourquoi son fils a autant de difficulté à s’intégrer au système scolaire, José n’a pas beaucoup d’estime de lui-même. Sa sœur, de deux ans son aînée, ne présente pourtant aucun problème d’ordre comportemental et réussit assez bien à l’école.

 

Plus la mère de José se sent démunie devant le comportement de José, plus elle a tendance à l’excuser. Elle questionne l’école et les pairs. L’école, quant à elle, questionne la mère et ses attitudes éducatives. La mère ne projette toutefois pas sur moi les problèmes de son fils, elle ne m’en rend pas responsable, ce qui nous permet de maintenir une bonne relation. Afin d’améliorer son sort et, par le fait même, celui de toute sa famille, la mère de José est retournée aux études, et ce, malgré toutes les difficultés que cela suppose.

 

José se différencie des autres enfants du groupe par ses attitudes, son langage et son manque de maturité. Il ne réussit dans aucune des disciplines scolaires. J’attribue ces échecs répétés à son peu de motivation en classe et à son manque de maturité, ses capacités intellectuelles n’étant nullement mises en cause. Sans un minimum de bien-être et d’estime de soi, il est quasi impossible à un enfant de développer des compétences.

 

Les règles de conduite et le comportement de José

À l’école, les règles de conduite ne concernent pas seulement la routine quotidienne, elles impliquent aussi des références entre des personnes (adulte/enfants, enfants/enfants) et incluent des normes d’appréciation pour les actes des personnes; par elles se transmettent tout un mode de valeurs et toute une philosophie de vie.

 

José ne respecte pas les règles de conduite. Au jeu de ballon, il a besoin d’être le plus fort. C’est la seule place où il peut imposer sa loi aux autres. Il est incapable de passer le ballon à un pair lorsqu’il joue à un sport d’équipe et, lorsqu’il commet une faute, il s’en prend aux autres. De plus, malheur à celui qui se montre plus habile que lui, il frappe ! Pour José, le jeu prend des allures de situation de survie : il est vital qu’il gagne.

 

Dans les travaux d’équipe, comme il ne se sent pas compétent dans la tâche à accomplir, il est plus enclin à « niaiser » qu’à tenter de fournir des efforts. Quand un enfant s’approche de lui, il se sent vite pris au piège, José se révélant très possessif. L’enfant qui s’approche de José se coupe de ses autres amis. Il n’a alors qu’une idée, celle d’aller prendre de l’air… loin de José.

 

José a déjà été suspendu de l’école pour trois jours, il avait frappé deux petites filles de première année dont la seule faute avait été de s’être trouvées sur son passage. Il a aussi réussi à établir des contacts avec des enfants plus vieux qui, comme lui, sont un peu « caïds ». Il se sert d’eux pour faire peur aux autres ou carrément se venger. Il essaie ainsi d’obtenir par la force ce qu’il ne réussit pas à avoir par la communication.

 

La seule façon de sensibiliser José au vécu des autres et au mal qu’il leur cause parfois, c’est de le mettre en communication avec ses pairs. Si les autres deviennent des amis potentiels plutôt que des ennemis potentiels, alors José aura une chance de se socialiser.

 

Le comportement des autres enfants du groupe

José n’est pas bien dans sa peau et les autres enfants de la classe le sentent. Ils se servent de lui comme bouc émissaire et le rendent responsable de toutes les calamités. Je tolère très difficilement les attitudes méprisantes et sarcastiques de certains de mes élèves.

 

José n’est toutefois pas le seul à subir du rejet en classe ou dans la cour de récréation. Ce qui le démarque des autres enfants, c’est que le rejet dont il est victime est systématique.

 

Par conséquent, je me dois de questionner ouvertement le comportement de tous les enfants dans le groupe, car le problème atteint l’ensemble de la classe. De plus, sans l’appui des enfants, je ne peux rien pour José. C’est avec l’aide de ses pairs que José apprendra à établir des liens. Mon travail consiste à amener les autres élèves de la classe à manifester un minimum de tolérance (à défaut d’un minimum d’accueil) envers cet enfant qui ne maîtrise en aucune façon le code relationnel à l’intérieur et à l’extérieur des murs de l’école.

 

José cherche à obtenir l’attention des autres en les provoquant. Nous assistons ainsi à une ronde infernale : rejet, réaction agressive, nouveau rejet, etc. Il ne deviendra pas automatiquement « fin » parce que les autres enfants le traiteront mieux. Il lui faudra tester les autres avant d’avoir vraiment confiance. Le groupe d’enfants doit donc s’armer de patience et je devrai appuyer ses efforts que pour intégrer José.

 

Je suis consciente que les autres élèves de la classe ne régleront pas le problème, pas plus que moi d’ailleurs. Ce problème est trop profondément ancré pour que nous puissions le déloger. Seul José détient le pouvoir de changer son comportement et de se rendre la vie moins difficile. Ce processus de « reconstruction de soi » est un processus de longue haleine. Nous ne pouvons pas, néanmoins, être sourds à la souffrance que l’incapacité relationnelle de José engendre et nous croiser les bras. Nous avons aussi une part de responsabilité dans son échec. Lui manifester une certaine ouverture s’avère un bon point de départ à une meilleure intégration dans le groupe classe. Si je ne peux pas faire de miracle, je peux peut-être mettre en place des conditions pour que le climat soit moins perturbé en classe et dans les activités qui se déroulent en dehors de la classe.

 

Certains enfants, parmi ses camarades, vivent aussi, par moments, une forme ou une autre de rejet. Je fais appel à leur vécu pour les sensibiliser à celui de José. Le fait d’écouter certains de leurs camarades raconter comment ils ont subi certains rejets les rapproche un peu de José; le fossé entre eux et José semble soudain moins infranchissable qu’il ne le paraissait au point de départ. À défaut de se laisser toucher par le vécu de José, ses camarades ne restent pas indifférents au vécu d’un enfant qui leur ressemble. Ce faisant, José ne se retrouve plus la seule victime. Il peut même, éventuellement, se faire ainsi quelques alliés.

 

Par la parole, lorsqu’il y a un lieu pour exposer les griefs, nous arrivons à vaincre notre impuissance, même si nous sommes conscients que cela n’est « qu’une lueur au bout du tunnel ». Cela est nettement préférable au fait de baisser les bras.

 

Les prises de conscience, une infinie patience, beaucoup d’amour et parfois… d’humour sont les ingrédients d’une recette qui, à défaut de ne pas réussir à tout coup, a au moins la qualité de ne pas handicaper davantage les enfants problématiques dans un groupe classe.

 

Pierrette Trudel est enseignante à l’école Laurentide de la commission scolaire Marguerite Bourgeoys