Le monde qui nous habille

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Date de publication

vendredi 17 mai, 2024

Dans mon article sur l’impulsivité, Sophie Parent, professeure à l’École de psychoéducation, Université de Montréal, spécialisée en relation mère-enfant, développement des compétences et santé mentale, comparait certains enfants à des pissenlits : quelles que soient les conditions, ils se débrouillent et trouvent ce qu’il faut pour grandir. Mais d’autres, expliquait-elle, comme les orchidées, nécessitent des soins qui feront la différence entre une croissance en friche et une fleur fabuleuse. Bien sûr, rêver, par moments, d’une orchidée qui réclame des soins de pissenlit, c’est humain, mais au bout du compte, on ne peut pas tout avoir et, surtout, on ne choisit pas. Et, qu’ils soient pissenlits ou orchidées, les enfants nous entraînent sur bien d’autres voies que celle de nos attentes.

D’après un de mes anciens profs de philo, il s’agirait d’une excellente nouvelle puisqu’il disait : « Si tout se passe comme prévu, si on ne s’éloigne jamais de nos repères, qu’aura valu le voyage ? Alors, si vous revenez d’une démarche en me disant que vous vous êtes perdus en cours de route, moi, je dis bravo ! »

Pour être certain que l’on ne se déplace pas pour rien à ses cours, ce prof veillait d’ailleurs à bien nous égarer par quelques phrases comme « On se glisse dans un chandail et on a l’impression de se couvrir ; mais si, au contraire, on venait remplir le monde ? » J’ai trimé longtemps sur cette dernière phrase. À travers les années, je suis parvenue à lui donner un sens, peut-être pas celui qu’aurait voulu le prof, qui sait…

On a toujours, dans sa garde-robe, un veston pratique que l’on garde pour les moments officiels, qui protège du froid et des regards, qui permet de rester anonyme ou de ne dévoiler que ce que l’on veut. Mais on a aussi ce vieux chandail auquel on revient tout le temps, celui qui appartient à notre univers autant qu’il paraît faire partie de nous, où l’on se sent nous-mêmes et qui ne semble espérer que nous. On rêve tous d’une famille comme ce vieux chandail : une fibre chaleureuse, tissée juste assez serrée, qui semble n’attendre que nous pour prendre forme. 

Lorsqu’un bébé arrive dans le monde, tout peut apparaître comme une menace à ce petit être fragile et à notre rôle hésitant. Alors on le protège, avec toutes les couvertures et tous les accessoires possibles, et on se protège : on se crée une bulle. Pourtant, même à l’intérieur de la bulle, on se rend compte que tout ne se passe pas comme prévu non plus. L’enfant réagit selon ce qu’il est : il faut subir ses comportements ou leur faire de la place. Apprendre à accueillir, c’est le travail d’une vie.

Il y a un siècle, le temps consacré à ce tendre ajustement aurait été plus court. Les enfants arrivaient sans attendre et on leur trouvait vite quelque chose à faire. Le mode de vie rurale l’exigeait. La famille n’était sans doute pas plus parfaite, mais on n’avait pas le choix de s’y tailler une place, quelle que soit sa nature.

Aujourd’hui, tout est un peu différent. D’une part, les enfants sont convoités, désirés, avec toutes les attentes qui viennent avec. D’autre part, ils naissent ici le plus souvent dans une famille qui n’a plus vraiment besoin de leurs bras. On leur demande plutôt de rester sages et de ne pas chercher trop vite à prendre leur envol. 

Dans ce contexte, la reconnaissance, il faut la bâtir de notre propre voix, de nos propres mains, au quotidien, pour tous ces enfants qui guettent constamment le geste qui signifie « Nous n’attendions que toi ! » Comment alors manifester notre gratitude ? Saurons-nous leur montrer qu’ils valent le détour et que leur façon de nous amener à les accepter tels qu’ils sont, nous l’avons aussi désirée ?

Chaque jour, la réponse reste à redéfinir.

 

Pour lire l'article sur l’impulsivité

Photo : Caroline Hernandez