Comment parler d’argent aux enfants

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Date de publication

mercredi 17 janvier, 2024

GRANDIR AVEC LES BILLETS

Votre enfant commence à reconnaître les chiffres sur les billets et à comprendre que deux pièces d’un dollar, ça vaut moins que trois pièces d’un dollar ? Le temps est venu de lui inculquer ses premières notions de finance.

Tôt, pour des avantages pas si lointains

Qu’ils proviennent des cégeps, d’organismes privés, publics ou d’organismes à but non lucratif voués à l’éducation ou à la protection des consommateurs, tous les pros de la finance rencontrés s’entendent pour dire que, si on attend les premiers cours de 5e secondaire avant d’aborder avec les enfants la question de la gestion financière, on se retrouvera avec de jeunes interlocuteurs aux habitudes difficiles à changer. 

En effet, on aura beau essayer de leur faire croire au père Noël, les enfants n’en continueront pas moins, durant toute l’année, et même une fois assis sur ses genoux, à avoir envie de consommer. Selon Annie Pelletier, la conseillère financière et gestionnaire de la page Facebook Mamans, papas & futurs parents : Faites rayonner vos finances !, les parents ont intérêt à ce que l’enfant intègre jeune le principe selon lequel l’argent est une ressource limitée : « L’enfant commence à comprendre pourquoi le parent dit non, que ce n’est pas parce que le parent est méchant, que c’est parce que ça fonctionne comme ça et que si nous disons oui à tout, il ne reste plus d’argent pour les choses importantes. »

Ne pouvons-nous pas alors nous attendre à ce que les enfants comprennent par eux-mêmes, lorsqu’ils sont prêts, en voyant les adultes payer la facture ? Disons que le lien entre les entrées et les sorties d’argent n’est pas toujours aussi évident. Il l’est encore moins à une époque où la monnaie tend à se dématérialiser, avec les paiements par carte ou en ligne, ajoute Julie Couture, responsable de l’éducation à l’Office de la protection du consommateur : « Lorsque les parents essayaient d’expliquer à leurs enfants qu’ils n’avaient plus d’argent pour quelque chose, les enfants répondaient qu’ils avaient seulement à aller au guichet automatique pour en avoir. Faire la relation entre le travail et l’argent, ce n’est pas évident. Parfois, maintenant, on ne va même plus au guichet. L’argent est comme devenu invisible. »

La finance, au quotidien

Pour toutes ces raisons, Annie Pelletier encourage les parents à surmonter leurs réticences à amener les enfants faire l’épicerie. Et, pour que l’apprentissage soit vraiment formateur, elle suggère, si possible, d’y aller avec des billets bien tangibles : « Avec l’argent comptant, c’est plus facile d’expliquer, par exemple, que l’on a 100 $, que l’on s’en est servi pour acheter telle, telle et telle chose, et que plus on dépense, moins il reste de cet argent : alors, il faut faire des choix. C’est plus facile aussi de voir qu’il peut rester 10 $ à utiliser si le magasinage s’est bien déroulé. »

Léonie Laflamme-Savoie, stratège des relations avec les médias de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC), suggère aussi de s’assurer la complicité de l’enfant en cherchant avec lui les rabais de la semaine à l’épicerie ou en lui demandant de découper les coupons de réduction. Ces étapes permettent de discuter des différences de prix et de comparer les produits similaires avant le moment fatidique de la négociation dans les allées. Les enfants peuvent aussi aider à repérer les objets une fois sur place.

Et, même avant de savoir compter, la stratège croit que les enfants gagnent déjà à s’amuser avec les sous : « On peut commencer par montrer à l’enfant de la monnaie, examiner la forme et la valeur des pièces et des billets. On peut les aider à compter et à trier les billets et les pièces de monnaie. »

L’enfant peut aussi ouvrir un compte en banque et s’initier graduellement aux principes de l’épargne et même à ceux du taux d’intérêt composé, bien avant qu’il ne s’attaque à ses premiers calculs exponentiels. Bien sûr, il ne s’agit pas d’effrayer les enfants trop tôt avec « des mots à 100 $ », comme ils le disent eux-mêmes, mais seulement de démontrer que l’argent peut « faire des petits », lorsqu’on le met de côté, explique Annie Pelletier : « Le parent peut aussi donner un petit bonus sur la somme économisée si l’enfant a réussi à atteindre certains objectifs. C’est alors un peu comme ce que font les comptes d’épargne et les intérêts. L’enfant comprend alors que s’il conserve un certain montant durant un certain temps, plus il en conserve, plus il en a par la suite. »

Les parents bien déterminés à faire assimiler tôt quelques notions peuvent également mettre l’univers des jeux à profit : « Le Monopoly, c’est un jeu où on apprend à manier l’argent. Ce n’est pas tous les jours qu’on le fait », remarque Youcef Ghellache, président et co-fondateur du site Éducfinance et professeur de finance au collège Montmorency. En effet, des jeux où l’on travaille, reçoit de l’agent, le dépose, le retire, le dépense et même où on gère les revenus et dépenses d’une entreprise peuvent aider à transmettre quelques notions. La répondante de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada encourage même à pousser le zèle jusqu’à proposer aux jeunes des ouvrages de fiction sur le même thème.

Le besoin d’apprendre les désirs

Entre 5 et 13 ans, l’enfant prend graduellement conscience des choix que font quotidiennement ses parents ou encore de ceux, parfois plus déchirants, qui consistent à déterminer le moment et le lieu d’une destination vacances ou l’achat d’une bicyclette. Avec un petit coup de pouce, l’enfant parvient également un peu mieux à distinguer les dépenses qui répondent à des besoins de celles qui répondent à des désirs. Ce coup de pouce, explique Léonie Laflamme-Savoie, peut prendre la forme d’explications sur les besoins fondamentaux, comme le logement, la nourriture et les vêtements, qui doivent être comblés en priorité.

Par la suite, lorsque l’enfant reçoit ses premières sommes d’argent, en cadeau ou sous forme d’allocation, et qu’on souhaite l’amener à passer de ses observations à la pratique, la question qui s’impose est celle-ci : « En as-tu vraiment besoin ? ». Cette interrogation est suggérée par la totalité des experts. 

Cependant, selon Anne Bianca Morissette, analyste en éducation financière à l’Autorité des marchés financiers, il faut savoir adapter la question aux enfants, qui ne sont pas responsables de leurs besoins primaires et qui voient parfois leurs parents se faire plaisir : « Si on achetait seulement le strict nécessaire, la vie pourrait devenir bien monotone, pour les enfants aussi. L’idée, derrière la question « Est-ce que tu en as vraiment besoin ? », c’est de ne pas dépasser sa limite. Il faut s’interroger sur la différence entre les besoins et les désirs, et se demander : ?Si tu as une ressource, est-ce que tu as vraiment envie qu’elle passe là-dedans où tu préfères la garder ?” »

Brian Smith, vice-président de la Fondation canadienne d’éducation économique (FCEE), souligne qu’il ne s’agit donc pas seulement d’apprendre à l’enfant à choisir, mais aussi à ralentir plutôt qu’à réagir de façon automatique : « Dans certains cas, les jeunes dépensent parce que l’argent est dans leurs mains et donc un moyen pour acheter des trucs. Ils ne prennent pas le temps de se demander si c’est vraiment un besoin pour eux ou un simple désir. Et, la plupart du temps, ce sont les désirs qui coûtent plus cher. Et c’est avec les désirs que les grandes compagnies et les boîtes de publicité font leur promotion. »

Encourager l’abondance… de questions

Cependant, l’endorphine sécrétée par le plaisir de posséder la dernière petite folie peut être forte, et devoir s’obliger à y renoncer peut être très frustrant. À ce propos, Youcef Ghellache pense qu’il faut éviter d’opposer le plaisir à la raison, si l’on veut voir l’enfant s’impliquer réellement, voire décider de garder une part de ses économies dans son bas de laine : « C’est de s’asseoir avec lui et lui demander : ?Qu’est-ce que tu aimerais avoir?” ou ?Quel serait ton projet ?”. Et de pousser cela dans l’imaginaire, de faire un peu de visualisation et de dire : ?On va renoncer à quelque chose aujourd’hui, mais on sait pourquoi on le fait.” Parce que, si c’est seulement renoncer pour renoncer, c’est sûr qu’il n’y a aucun avantage ni aucun intérêt à le faire. »

Ce professeur du collégial pense aussi que l’intérêt des jeunes demeure un facteur crucial pour faire la différence entre les concepts qu’ils seront motivés à apprendre et retenir et le reste. Leurs questions s’avèrent donc un excellent indicateur pour choisir par où commencer. Très tôt, les enfants montrent des signes d’intérêt pour le prix des objets ou jettent un œil sur les factures et s’étonnent candidement de ce qu’ils y trouvent. 

Anne Bianca Morissette y entrevoit de belles occasions de donner des exemples représentatifs de valeurs et d’établir quelques comparaisons : « Et, justement, à l’occasion, on peut aussi aller au restaurant, et faire remarquer : ?As-tu vu, au restaurant, cela a coûté 100 $, mais là, nous avions seulement un repas ! L’autre fois, à l’épicerie, avec 100 $, j’avais quelques repas, quelques collations. J’avais même des gâteries et des trucs de pharmacie.” Alors, à ce moment, les filles commencent à comprendre. »

 

UN TABOU QUI COÛTE CHER

Pour que les enfants comprennent les mécanismes d’échange des biens et des services, encore faut-il qu’ils osent en parler. Or, il semble que le vieil adage selon lequel, pour éviter les problèmes, il vaut mieux éviter de parler de sexe, d’argent et de religion avec les enfants, a été lourd de conséquences pour les familles québécoises.

Démystifions la finance en famille 

Annie Pelletier comprend très bien que des parents préfèrent éviter d’inquiéter les enfants en mentionnant, par exemple, qu’ils devront se passer de certains biens que d’autres peuvent s’offrir ou que la famille traverse une période plus difficile. Cette conseillère financière précise cependant que les enfants constatent d’eux-mêmes ces difficultés. Éviter le sujet ne contribue pas à épargner leur insouciance : « Parce que parfois l’enfant s’inquiète et n’osera pas le dire à ses parents. On peut donc expliquer ce qui se passe et pourquoi cela se passe. Ça permet alors aussi de rajouter que ce n’est pas une situation éternelle. »

Brian Smith, de laFCEE, évoque à ce propos l’écart profond qui peut s’établir entre de jeunes enfants plus ou moins curieux ou selon le contexte de travail des parents, leurs habitudes financières ou l’intégration des conversations sur l’argent aux mœurs familiales : « Il y a beaucoup de jeunes qui sont beaucoup plus avancés que les autres pour leur éducation financière parce qu’ils ont des parents qui travaillent comme entrepreneurs. Ils ont donc la chance de travailler dans le commerce des parents ou des grands-parents. Il faut donner la chance aux jeunes d’explorer. Lorsque tu es dans un commerce, tu vois des personnes qui entrent, des transactions qui se font. »

Youcef Ghellache ne croit pas que l’on puisse en déduire que les jeunes qui acquièrent ces notions terre-à-terre se révéleront plus enclins au matérialisme. Au contraire, celui-ci croit que parler d’argent permet de faire le lien entre ce qu’il permet d’acquérir et ce qu’il représente : « Si je vois que mon enfant est matérialiste, peut-être que je pourrais lui expliquer le principe et la valeur de l’argent, combien d’heures il faut payer pour acquérir ce bien, la durée de vie du bien, et amener vraiment le côté éducatif pour faire comprendre que cet achat que tu as fait, qui va durer tant d’années, c’est tant de sacrifices que l’on fait, et, entre-temps, nous ne pourrons pas mettre cet argent ailleurs. »

Cette compréhension de l’économie contribuera peut-être même à envisager l’avenir de façon plus réaliste. C’est en tout cas ce que croit Annie Pelletier, qui a rencontré beaucoup d’adultes, peu conscients, dans leur jeunesse, de leurs besoins financiers et des possibilités que leur offrait un petit salaire, regretter par la suite leur choix : « À cet âge, n’importe quel salaire apparaît plus gros que l’argent qu’ils ont déjà obtenu. En secondaire cinq, peut-être que des jeunes vont vérifier sur Internet différents salaires et revenus et vont se dire que le travail paye 30 000 $ par année et que cela va leur sembler beaucoup. »

 

… et les valeurs de parents

Lorsque l’enfant commence à s’initier aux  entrées et sorties d’argent, il comprend mieux, par le fait même, que les choix financiers des parents reflètent aussi leurs goûts et leurs valeurs. Cette passation de valeurs entraîne forcément son lot de comparaisons avec lesquelles les parents doivent négocier, sans trop critiquer les choix divergents des voisins ou d’autres parents. Pour s’en sortir diplomatiquement, Anne Bianca Morissette suggère de s’appuyer, encore une fois, sur la notion de choix : « Alors, j’explique que c’est une question de choix et tant mieux si cela les rend heureux. Et nous, de notre côté, avec les moyens que l’on a, on fait d’autres choix, tout aussi heureux. »

Ces différents aspects intimement liés à la vie de la famille amènent Youcef Ghellache à défendre l’idée selon laquelle la finance ne constitue pas un vase clos. Selon lui, il ne suffit pas d’expliquer à la plus jeune pourquoi elle doit porter les vêtements usagés de la grande sœur, mais aussi de lui apprendre à s’affirmer, de lui faire sentir qu’elle est quelqu’un et que sa vie a un sens, même si elle ne possède pas les derniers accessoires à la mode : « Ça, c’est quelque chose que l’on devrait davantage travailler avec l’enfant, et non seulement se battre contre la société de consommation dans laquelle on vit. C’est extrêmement important parce que, le jour où on commence à se ficher du regard des autres, que l’on se met à faire nos choix en fonction de nos convictions, nos valeurs et projets, je pense que cela change tout, parce que nous allons faire des choix intelligents pour nous. » 

Julie Couture, quant à elle, mise davantage, avec ses filles, sur le sentiment de liberté que procurent les économies, sentiment qui se perd assez vite lorsqu’il est temps d’honorer ses engagements financiers, surtout s’il s’agit d’achats que l’on regrette : « Lorsque tu es très endetté, il y a un sentiment de liberté qui est moins présent. On peut aussi parler de l’importance de garder une partie de son avoir pour se payer en premier avant de donner son argent à tout le monde qui veut avoir notre argent. » 

 

Quelques précieuses expérimentations

Cette quête de sens ne se transmet pas seulement par les mots, elle s’exprime aussi par les habiletés que l’on développe pour économiser. Anne Bianca Morissette, par exemple, s’ingénie à faire appel à la créativité de ses filles dans la cuisine : « Parfois, je leur demande : ”Est-ce que vous voulez que j’aille chercher des trucs à la boulangerie ? “Et elles me répondent : ?Non, on pourrait en faire cet après-midi à la maison. En plus, ce serait le fun et c’est bon”. Alors, elles sont contentes et c’est la réalisation de quelque chose. Ma fille me disait : ?C’est comme si on partait de rien et on finit avec un muffin.” »

Parmi les bonnes façons d’apprendre l’économie, les experts mentionnent aussi les petites entreprises de vente de limonade ou autres, qui initient les enfants aux aléas de l’offre et de la demande. De plus, et bien que démarrer sa propre entreprise ouvre la voie à de riches explorations, il est aussi possible de trouver un cadre pour orienter ces premières démarches entrepreneuriales lors de la Grande journée des petits entrepreneurs. Celle-ci se déroule en fin d’année scolaire, dans les écoles de la province, et s’adresse aux enfants âgés de 5 ans et plus. 

Anne Bianca Morissette raconte que sa passionnée de muffins s’y est lancée, avec une copine et de multiples idées de mise en marché. Elles en sont ressorties bien aguerries et fort déçues de constater que la vente et la production occasionnaient beaucoup de dépenses pour peu de revenus. Une situation regrettable? Pas selon Anne Bianca Morissette, qui s’est montrée plutôt encline à laisser ses filles subir un échec, et même à dépenser tout d’un trait les quelques dollars qu’elles reçoivent parfois en cadeau, en se disant que ce n’est pas si cher payé pour une première leçon sur les conséquences d’un choix trop impulsif : « Je pense qu’une erreur financière à 5, 7 ou 9 ans, est peut-être moins dommageable et peut-être plus lucrative en termes d’expérience que si nous la faisons à 25 ans et que l’on hypothéquait une grosse partie de notre budget. »

Dans le même sens, Annie Pelletier suggère que, comme dans plusieurs domaines où la prévention s’impose, autoriser la discussion permet aux parents de demeurer des modèles viables auprès de leurs enfants plutôt que des représentants de l’interdit : « Si on apprend aux enfants à mieux communiquer à propos de l’argent, lorsqu’ils auront des problèmes financiers, ils seront plus à l’aise aussi d’en parler à leurs parents, parce qu’ils ne se seront pas sentis jugés dans leurs choix. Et ils vont savoir que les parents les ont toujours plutôt guidés dans leur prise de décision. »

 

DE L’ÂGE DE L’ARGENT À L’ÈRE DU BITCOIN

Mais l’éducation sur la valeur de l’argent se bute à des obstacles que les générations précédentes n’ont pas connus, du moins, pas autant : au moment d’expliquer aux enfants qu’on ne peut dépenser que ce que l’on possède, il peut être difficile pour les parents de se sentir sûrs d’eux alors qu’eux-mêmes dépendent du crédit et des conseils financiers d’autres personnes.

 

Une culture de l’immédiateté

Anne Bianca Morissette fait remarquer que l’accès immédiat aux biens sans devoir les payer sur-le-champ fait néanmoins partie de la réalité d’un nombre toujours grandissant de familles : « L’enfant prend ses exemples dans le foyer où il vit. Je me souviens qu’à l’époque, dans mon quartier, […] lorsque nos parents voulaient changer de voiture, ils s’en achetaient une. C’était la même chose pour nos voisins. Cela faisait un 10-12 ans, en tout cas, jusqu’à ce que la voiture rende l’âme. »

Outre l’accès de plus en plus facile aux produits, Brian Smith mentionne que les enfants sont confrontés à des publicités de plus en plus intrusives, à travers les réseaux sociaux. Eux aussi apprennent à développer leur créativité pour obtenir ce qui leur est proposé, bien avant d’avoir compris les risques de l’endettement : « À travers toutes mes années d’expérience, j’ai constaté que les jeunes trouvent les moyens d’acheter des trucs, même s’ils ne travaillent pas : comme d’emprunter de l’argent à leurs amis. » 

Parmi les modèles proposés aux jeunes, outre ceux qui font la promotion de biens, se trouvent ceux qui font rêver à un mode de vie où le succès s’acquiert aisément, en créant un engin virtuel révolutionnaire, par exemple, ou encore par le biais du bitcoin.

Youcef Ghellache précise que les parents et les éducateurs ne doivent plus seulement aider les jeunes internautes à avoir une image réaliste de l’univers financier, mais doivent aussi déconstruire des rêves : « Et en investissement, c’est la patience qui fait la différence, que ce soit en immobilier ou en bourse ou en entrepreneuriat. Il faut apprendre à être patient. Parce que c’est faux de croire que l’argent, c’est du jour au lendemain que l’on va en faire. Au contraire, c’est un marathon. Et ce qui est mis de l’avant, en ce moment, sur Internet, c’est l’enrichissement rapide, le sprint. »

L’argent des jeunes en question

Les parents ne sont cependant pas les seuls à veiller aux risques que peuvent rencontrer les jeunes qui acquièrent leur autonomie. Ces derniers constituent un des publics ciblés par la Stratégie nationale sur la littératie financière de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC). Avec leurs enseignants, ils sont aussi aidés par les pages éducatives de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et de la Fondation canadienne d’éducation économique (FCEE). La FCEE et l’Office de la protection du consommateur (OPC) ont même créé des outils éducatifs qui s’adressent aux parents et aux enfants dès leur entrée au primaire.

En conséquence, Brian Smith, de la FCEE, soutient qu’en aucun cas on ne peut parler d’une lacune d’informations. Mais cela ne signifie pas que les jeunes consommateurs sauront s’y retrouver. Et cela est d’autant plus vrai que les idées circulent parmi des conseils moins bien avisés et ceux des grandes institutions financières, qui ont des produits à vendre. 

Julie Couture décrit cette tendance à se tourner vers ces bannières bien connues comme « le réflexe le plus naturel », même si chacun sait que leur mission n’est pas d’apprendre à limiter l’usage du crédit : « C’est certain que ça peut conduire à des situations de surendettement. Les institutions financières sont-elles suffisamment des citoyens responsables? Je pense qu’elles le sont, la plupart du temps, mais elles ne sont pas parfaites non plus. »

Lorsque les fraudeurs s’invitent en ligne

Les conseillers financiers ont néanmoins des règles de déontologie à respecter, dictées par l’Autorité des marchés financiers. Les institutions financières ont aussi intérêt à éviter que leurs clients ne soient victimes de fraudes, puisque la responsabilité des frais leur revient souvent. 

D’après la conseillère financière familiale Annie Pelletier, les fraudeurs n’ont pas besoin de révolutionner leurs méthodes pour rejoindre les jeunes. Parfois, une simple adaptation de la langue suffit : « Il y a parfois des mots-clés et des hashtags attrayants pour les jeunes qui vont être utilisés pour vendre certains produits et, finalement, cela va être une fraude. Donc, oui, cela peut arriver. Je ne peux pas dire exactement quel produit, mais cela va être comme : ?Clique sur ce lien pour avoir un vêtement gratuit”. » 

Il faut dire que, selon ce qu’a pu observer Brian Smith, le profil des jeunes et leur ignorance en font des proies plus accessibles aux fraudeurs et aux vendeurs de devises peu scrupuleux : « Les fraudeurs cherchent des profils et ils ne visent plus seulement les aînés. Ça va être beaucoup les jeunes, vers 17 ou 18 ans. Parce que les fraudeurs savent qu’à cet âge-là, les jeunes ont besoin d’avoir de l’argent très vite. »

Les enfants de moins de 18 ans sont loin de se situer pour autant dans une aire protégée, prévient Charles Tanguay, porte-parole de l’OPC : « En principe, ils ne font pas de transactions économiques, quoique nous ayons vu des histoires d’horreur de tout jeunes enfants qui avaient utilisé la carte de crédit pour acheter des points (je pense que c’était pour le jeu Fortnite), où le parent reçoit finalement un compte de 1000 $ ou 2000 $, sur sa carte de crédit. »

 

Une culture de protection

Les objectifs d’éducation financière que l’ACFC aimerait bien faire connaître à tout citoyen canadien vont toutefois beaucoup plus loin que la prévention de la fraude. Ils incluent :

·       la gestion des dépenses ; 

·       la gestion des dettes ; 

·       la gestion de l’épargne ;

·       les compétences pour naviguer sur le marché financier ; 

·       l’acquisition de confiance et de connaissances financières en temps opportun. 

Mais le grand défi demeure justement de déterminer ce moment opportun. Youcef Ghellache se confronte chaque jour, même lorsqu’il enseigne au collégial, au défi de trouver les questions qui préoccupent les jeunes à ce moment de leur vie : « Lorsqu’on essaie d’expliquer l’offre et la demande à des jeunes, le taux d’inflation ou le taux directeur, ce sont des notions importantes, mais, parfois, ils veulent plutôt connaître comment fonctionne une carte de crédit, parce qu’ils vont en avoir une bientôt. Ils veulent apprendre à faire un budget, parce qu’ils commencent déjà à gérer de l’argent. Ils veulent comprendre l’impôt. »

La question se pose aussi de savoir pourquoi on chercherait à développer les connaissances des enfants et des jeunes sur la finance une fois que le bien-fondé de se montrer économes et prudents a été expliqué. Youcef Ghellache répond à cela que la compréhension de la finance ouvre des horizons autres que celui du simple salarié, comme celui des entrepreneurs et des investisseurs. Mais surtout, que ces connaissances permettent de mieux mesurer la portée et les risques des gestes que l’on pose ou que l’on omet de poser : « On le voit : on pourrait sortir rapidement des statistiques sur le taux d’endettement. La plupart des gens qui s’endettent sont souvent des gens qui manquent d’éducation financière. Ils n’ont pas appris à faire un budget, alors ils dépensent sans forcément avoir une idée de leur situation. Ils ne comprennent pas le crédit. »

Le royaume de la finance peut cependant sembler complexe et plein de détours au parent qui voudrait l’expliquer simplement. Lorsque son enfant lui pose des questions sur les NTF (jetons non fongibles) ou sur d’autres termes qu’il ne connaît pas encore, la tentation peut être forte pour le parent de se réfugier dans le silence. Youcef Ghellache admet que le milieu de la finance recèle autant de nouveautés que d’appâts. Il maintient cependant que les bases que chacun devrait connaître n’évoluent pas aussi rapidement. Il reconnaît néanmoins l’importance de s’assurer de l’exactitude de ses connaissances avant de les partager. Et il admet que son site Éducfinance est loin d’être le seul qui permet d’y parvenir. Il évoque même une récente multiplication des ouvrages de vulgarisation sur le sujet, dont ceux de Pierre-Yves McSween, Jean-Sébastien Pilotte et Nicolas Bérubé. 

 

Guider, avant de tout connaître

Anne Bianca Morissette ne croit cependant pas qu’il faille avoir lu tous ces titres avant d’ouvrir la bouche. Elle avance plutôt qu’une bonne dose de curiosité et une touche d’humilité suffisent parfois pour apprendre avec son enfant ou son adolescent sans l’induire en erreur : « Je pense que le parent peut simplement dire : ?Écoute, je n’ai jamais fait cela, je n’ai pas eu cette expérience dans ma vie, mais nous allons le découvrir ensemble.” »

Mme Morissette affirme que le rôle du parent n’est pas accessoire, même lorsqu’on accompagne l’enfant sur un site dédié aux jeunes, puisque l’adulte contribue ainsi à développer ses réflexes de vigilance et d’évaluation de la crédibilité : « Il faut les faire réfléchir avec nous. Et c’est avec des discussions qui sont difficilement imaginables avant de l’avoir vécu que l’enfant va réaliser que, finalement, il faudrait peut-être vérifier ceci ou cela. [...] Et il faut faire attention : la pression est là. Souvent, un ami l’a fait avant eux. Et dans ce cas-là, on ne vérifie plus rien. » 

Annie Pelletier affirme toutefois qu’il faut se donner la peine d’aller visiter les sites des blogueurs et autres influenceurs jeunesse de ce monde avant de rejeter trop vite les modèles de TikTok dont les enfants vantent les mérites : « Il faut éviter de dire à l’enfant que ce qu’il voit est faux d’emblée. Il faut aussi vérifier le genre de contenu que consomme notre enfant. Si, par exemple, notre enfant a tendance à suivre certaines personnes qui parlent de l’argent sur les réseaux sociaux, ce serait bien, pour le parent, de suivre un peu cette personne afin de savoir qui elle est. Ce sera alors plus facile, par la suite, de discuter de cet influenceur ou de dire ce que celui-ci a moins bien expliqué. »

Donc, après avoir fait ses recherches et déjoué quelques entourloupes, il ne reste plus qu’à apprendre à maîtriser la patience, à laisser mijoter dans les esprits, et à saupoudrer selon nos valeurs familiales. Et, pendant que ça bouillonne, pourquoi pas une petite partie de Monopoly ?