Unir nos familles en voyage | Pourquoi pas?

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Date de publication

jeudi 29 juin, 2023

De plus en plus, on rencontre des parents cools qui partent en vacances avec la fratrie, d’autres parents ou des amis en prévoyant, comme bonus, une sortie ou deux en amoureux pendant qu’un adulte du groupe surveillera la marmaille. Et si, dans votre for intérieur, la question « Pourquoi pas de telles vacances pour nous aussi? » commençait à poindre, sauriez-vous comment les préparer et les vivre? Pour celles et ceux qui n’oseraient pas encore ébranler leur entourage avec une telle hypothèse, voici quelques avis de bourlingueurs, ou plutôt de bourlingueuses collectives aguerries. 

 

INTIMES, TOUS ENSEMBLE

Pourquoi pas? Avec Internet et un peu de collaboration, pourrait-on mettre nos efforts en commun, planifier le voyage et partager les dépenses, au lieu de partir chacun de son côté, et tous payant alors le gros prix? Ce n’est pas faux, quoique, pour nos grandes voyageuses, le projet ne se présente jamais ainsi : bien avant le désir de voir du pays, c’est celui de revoir leurs proches qui les entraînent, même lorsque leur enthousiasme finit par les pousser jusqu’à l’autre bout de la planète.

Des liens à maintenir

Donc, en ce domaine, que l’on se retrouve à 3, à 6 ou à 30, rien de nouveau sous le soleil : « les vacances en famille continuent à répondre au même besoin fondamental qu’avant, celui de l’affiliation », mentionne la chercheuse en psychologie sociale à l’Université de Montréal (et grande voyageuse) Roxane de la Sablonnière. « Parce que l’on peut avoir l’impression que l’on perd le fil, parce qu’il y en a qui travaillent beaucoup. Il y a l’école et les devoirs. C’est un moyen de se dégager de tout cela pour se retrouver ensemble. »

De même les frères, les sœurs et les amis qui ont accompagné Farida, Quynh-Anh et Lili n’ont pas été recherchés parce qu’il fallait des colocataires ou des covoitureurs : ils représentaient avant tout les partenaires privilégiés d’une chasse aux souvenirs, d’expériences partagées et, rajoute Quynh-Anh, l’occasion de créer des liens durables entre les enfants de chacun : « On veut que les enfants se connaissent en grandissant et qu’ils gardent des liens entre eux. Parce que nous sommes une grosse famille, donc habitués à être ensemble. »

Pour Farida et Quynh-Anh, ce besoin est d’autant plus fondamental que leur famille est dispersée aux quatre coins du monde. Farida mentionne que préserver ce filet social demeure une priorité, afin que ses enfants comprennent mieux qui ils sont, d’où ils viennent et qu’il existe des gens pouvant veiller sur eux. En ce sens, elle dit entretenir la tradition, sans pour autant opter pour une façon de vivre traditionnelle : « Au moins, les enfants ont des repères et se sentent moins seuls, parce qu’il y a une communauté autour d’eux, à laquelle ils sont unis par le sang. »

 

Apprendre des autres

Le même discours mettant de l’avant les valeurs familiales est adopté par Lili qui, pourtant, voyage principalement avec son groupe d’amis. Mais pour elle comme pour ceux-ci, dont plusieurs sont des enfants uniques, l’occasion de créer ainsi une atmosphère familiale autour des enfants constitue une des richesses du voyage.

Lili exprime également sa volonté que ses amis jouent un rôle actif dans le partage des valeurs à ses enfants. Elle se dit même convaincue que, si les enfants entendent ses amis parler de valeurs communes, dans le contexte chaleureux et protégé du clan, le message les imprégnera mieux.

Elle croit même que certains messages passent mieux auprès des enfants lorsqu’ils proviennent d’une autre personne que leur maman. Par exemple, une de ses amies a dit au petit garçon de Lili qu’elle ne voulait pas être touchée sur les seins et le haut des cuisses : « Elle a mis ses limites. Et je pense que c’est un apprentissage précieux pour un petit garçon. Ce n’est pas quelque chose que j’aurais nécessairement pensé à lui dire. Mais c’est bien d’avoir des femmes pour dire à quelles parties du corps d’une autre personne on ne doit pas toucher. »

Avouons toutefois que toutes ces voyageuses se sont retrouvées avec la passion du voyage dans les veines bien avant d’avoir des enfants. Lili a commencé à faire régulièrement du camping avec ses copains et copines à l’époque du cégep et elle a été la première à amener camper son poupon de six mois avec eux. Sa dizaine d’amis a accueilli ce dernier avec chaleur.

Or, durant sa grossesse, elle a aussi fait du camping avec son conjoint, au milieu de montagnes et de lacs, et une telle démarche semblait à contre-courant : « On rencontrait des gens qui nous disaient "Profitez-en, du camping, parce qu’après, ça va être fini! " Mon chum et moi, on se regardait en se demandant pourquoi il faudrait que ce soit fini. »

 

Intimes ensembles

Farida avoue profiter maintenant de ces moments, pendant que sa ribambelle s’occupe toute seule, pour se retrouver entre filles avec sa soeur et des bébés pas encore en âge de rapporter leurs confidences. Lili, conjointe d’un lève-tard, évoque les moments d’aube avec ses proches, pendant que les enfants batifolent autour sans se soucier d’eux, comme ses plus précieux souvenirs de vacances.

Ces femmes ont alors l’impression de reconquérir le brin d’insouciance qui les habitait avant l’arrivée des enfants. Mais sont-elles un peu moins mères pour autant? Ce temps libre ne les empêche pas d’être toujours « parents à 200 % ».

La perspective de vacances en groupe peut en effet laisser entrevoir le rêve de soupers intimes ou de longues balades en amoureux sur la plage, pendant que mamie ou un oncle se gâte avec les enfants ou qu’un cousin ado se sacrifie pour les garder. Il faudrait cependant sonder l’ambiance avant de continuer à caresser de telles ambitions puisque parmi les mamans rencontrées, aucune ni leurs proches n’ont semblé faire peser ce besoin d’intimité dans la balance, du moins pas plus que quelques heures. Quynh-Anh estime que le temps qu’elle passe sans ses enfants autour d’elle ne représente pas plus de 10 % de son voyage. Cela ne signifie cependant pas que beaucoup de temps se déroule avec eux.

 

Un bain de folie

Farida remarque qu’à partir du moment où les enfants savent que les copains ou cousins trépigneront bientôt derrière la porte, le besoin de se raconter à papa et maman se limite souvent à quelques phrases en coup de vent, à l’heure du souper ou avant le dodo.

Lili explique alors que ce ne sont pas tant les enfants qui s’éloignent; c’est le cadre habituel de la famille qui se décale un peu. Les activités ou alliances du moment entre tantes, amis et cousins chamboulent l’horaire prévu : « On continue à s’occuper de nos enfants, mais de façon différente. On ne va pas avoir la même préparation de repas. On va sauter le bain. On va se coucher tard. Et on va faire d’autres genres d’activités. Parfois, il y a des gens qui vont proposer des activités que l’on ne ferait pas nécessairement, alors ça permet aux enfants de les faire. »

Ainsi, les rôles se partagent différemment entre adultes et enfants. Lili raconte être particulièrement fière non seulement de multiplier pour ses enfants l’accès à des expériences nouvelles, mais aussi de se révéler à eux comme des personnes qui partagent des amitiés et des moments basés sur une complicité candide : « Je suis contente que mes enfants me voient dans cet état d’euphorie, que ce soit un peu plus la fête et la joie légère. Il arrive qu’ils me voient rire, et avec mes amis je peux sortir de mon rôle de parent. Je redeviens la personne que je suis encore, mais que je dois souvent mettre de côté pour faire de la discipline, ou pour montrer le bon exemple, ou parce que je dois expliquer des choses. »

PLANIFIER (MAIS QUOI, AU JUSTE?)

Avant qu’une telle magie ne s’opère, il faut toutefois bien planifier en coulisse, penser aux priorités de l’un, au rythme de l’autre, sans oublier de laisser une grosse place à la souplesse.

 

Planifier pour tous : une tâche de longue haleine

Selon Quynh-Anh, bien que l’on puisse rêver d’un voyage où l’on passe d’un bon moment à l’autre, une bonne planification s’avère encore la meilleure façon de respecter son budget et d’éviter de passer ses journées devant les casseroles ou de pallier les conséquences des imprévus : « Donc, ce qui est le plus difficile, c’est la planification avant le voyage. Mais je pense que si c’est bien planifié avant, il y a beaucoup moins de problèmes après, parce qu’on sait ce qu’on veut ou ce dont on a besoin pour partager le temps et la charge mentale, etc. On sait quoi faire. Ça vaut la peine de préparer cela, car s’il survient des conflits durant le voyage, on ne relaxera pas. Les vacances, c’est fait pour en profiter. »

Mais pourquoi parle-t-elle de difficultés, alors que l’on s’apprête à vivre un rêve? Parce qu’il s’agit d’un projet en plusieurs étapes, et qui oblige à considérer les contraintes de temps, de budget, les âges des enfants et les préférences de chacun. Dans la famille de Quynh-Anh, on commence à discuter d’un voyage d’été durant les fêtes de Noël, en fixant d’abord son moment et sa durée, puis le pays de destination. Cela se poursuit par des téléconférences et des courriels à tous, pour choisir la ville, la formule d’hébergement et enfin les activités.

En principe, tout le monde cherche, les conjoints compris, mais dans les faits, certains manifestent plus d’enthousiasme que d’autres pour la planification et ses rendez-vous virtuels. Lili constate aussi que certains semblent éviter les débats : « Souvent, on va avoir un échange de courriels. On répond à tous. Ou c’est une conversation de groupe sur Messenger. Mais sur 12 personnes, il y en a peut-être 4 ou 5 qui répondent; les autres, qui suivent le train, ne le font pas. »

 

Plus de monde, plus de contraintes

Et les débats commencent parfois à la maison, car lorsqu’un voyage se fait en famille ou dans le réseau d’un des parents, l’autre partenaire risque de devoir renoncer, au moins en partie, à ses propres aspirations de tranquillité, d’économie ou d’aventures. Quynh-Anh cherche alors le compromis en suggérant des destinations où l’on peut pratiquer de multiples activités. Elle prévoie aussi des moments passés séparément et des rencontres dans des restos offrant une variété culinaire plutôt qu’une seule spécialité.

Toutefois, même la définition de « offrant des choix variés » peut évoluer avec le temps et l’âge des enfants. Ainsi, lorsque leurs enfants étaient très jeunes, Farida et Quynh-Anh se laissaient tenter par des solutions de style « tout compris » ou village vacances, qui proposent des animations pour tous les âges, auxquelles on accède sans trop s’éloigner de sa chambre. Par contre, les années suivantes, la liberté signifiait pour elles de ne surtout pas devoir rester confinées sur un même site et, dans le cas de Quynh-Anh, de se rencontrer chaque soir pour déterminer qui seront les compagnons d’activités du lendemain.

Plus de liens

Cependant, que l’on préfère l’hôtel ou la location d’une villa, trouver un lieu pour un grand groupe n’est pas toujours simple. Lili raconte sa recherche d’un camping comme si c’était un plan d’invasion militaire… six mois avant le départ : « C’est difficile d’avoir six places les unes à côté des autres, et les campings n’ouvrent pas tous aux mêmes dates. Quand nous avons choisi le nôtre, le jour de l’ouverture de la période de réservation, il y avait au moins deux ou trois personnes qui essayaient en même temps d’avoir des places et les meilleures. »

Quynh-Anh reconnaît d’ailleurs que la lourdeur de cette organisation a amené ses frères et sœurs sans enfants à renoncer à les suivre. Pourtant, d’après la professeure et chercheuse en psychologie Roxane de la Sablonnière, si l’on parvient réellement à se soucier les uns des autres, multiplier les joueurs ne comporte pas que des désavantages. Cela permet non seulement de multiplier les belles expériences, mais aussi d’éviter des frictions : « Ce sont des contraintes qui s’ajoutent, mais aussi plus de liens. Si vous êtes quatre personnes en voyage plutôt que deux, et qu’il y a quelqu’un qui te tape sur les nerfs, tu peux parler plus aux autres, et, finalement, l’harmonie revient. » 

Préparer les enfants

Avant le départ, Lili a toujours vu l’intérêt d’éveiller l’imaginaire de ses enfants : « Je leur ai décrit les points d’intérêt du camping : "Il y a des vaches écossaises poilues." Donc, il y a déjà une curiosité qui est installée. Ils savent à quoi s’attendre. » Parler du déroulement permet aussi aux enfants de nommer ce qui les tracasse. Ainsi, Lili veillera à l’intégration de son plus vieux, cet été, qui appréhende de se retrouver dans un lieu où l’on ne parle pas sa langue.

Farida, quant à elle, essaie de choisir au moins une activité sur deux pour les enfants et de les sensibiliser à ce compromis, parce qu’elle sait que des jeunes qui se laissent trainer à rebrousse-poil peuvent rendre la vie de tous très pénible. Elle se souvient du soir où un grand ado de leur groupe a décidé de s’éclipser sans noter au préalable l’adresse du domicile de vacances : « Ça, c’est un exemple d’adolescent qui n’est pas content du programme et qui décide de faire son propre programme tout seul. ». Égaré, il a été ramené le lendemain… par la police! 

 

DE LA SOUPLESSE, PAR-DELÀ LA BONNE VOLONTÉ

La souplesse est un atout essentiel aux vacances réussies, on ne le dira jamais assez. Pourtant, partir avec l’intention d’être souple ne suffit pas toujours. Il faut se donner les moyens de parvenir à gérer les imprévus, un à un, lorsqu’ils se présentent, de façon à ne pas trop affecter la dynamique générale.

 

La souplesse de rigueur en famille

La souplesse devient particulièrement importante avec des enfants, qui se gênent parfois un peu moins avant d’aller jouer avec les nouveaux copains rencontrés au terrain d’à côté ou de lever le nez sur une activité planifiée. Lili, qui a observé ces comportements plus d’une fois, en a tiré des leçons sur les avantages d’apprendre à décrocher du rêve de réaliser tout le programme prévu. Elle sait maintenant que l’humeur des enfants ou de la température oblige parfois à renoncer rapidement à une activité qu’elle a pu préparer pendant des heures.

Quynh-Anh, de son côté, n’a pas vraiment le choix de s’adapter à la cadence des autres familles, du jeune neveu qui se met à contempler chaque pissenlit : « Il ne faut pas se fâcher et devenir agressif parce que les autres n’ont pas fini. Je peux me dire que ce n’est pas grave. Que je suis là et que je peux en profiter autrement en regardant autre chose. »

Les enfants exigent donc de la mobilisation, et ce, d’autant plus lorsqu’on se retrouve quelques jours enfermés dans une chambre d’hôtel à cause de la pluie. Lili peut témoigner qu’une telle situation oblige à se secouer les puces : « On est allés visiter un aquarium et un centre communautaire. Il y avait une bibliothèque avec à peu près huit livres et trois jouets… ». Ces visites ont permis à Lili de se rappeler que les enfants se montrent parfois, en revanche, des maitres dans l’art d’apprécier le moment : « Eux, ils ont eu bien du plaisir. Ils découvraient un nouveau lieu. »

 

Quelques irritants à tempérer

Ces voyageuses aguerries n’évitent pas pour autant tous les moments où elles se sentent la mèche un peu plus courte, dans leurs interactions. Mais elles connaissent mieux ces raisons qui peuvent mettre le feu aux poudres et parviennent à les prévenir ou les dédramatiser plus aisément. Au banc des irritants les plus courants, elles nomment la fatigue, la faim, la crainte que les enfants en souffrent aussi et les changements dans leurs habitudes de voyage. Qui plus est, précise Roxane de la Sablonnière, à ces imprévus s’ajoute alors toute la complexité de gérer l’aspect humain.

Cette professeure en psychologie sociale rappelle que, déjà, se retrouver en situation de groupe bouleverse le contexte relationnel et demande de l’adaptation, même pour des gens qui se fréquentaient jusqu’ici en tête-à-tête ou devant un bon repas. Et lorsque s’y additionnent les autres facteurs extérieurs d’inconnu et de stress, des personnes qu’on croyait bien connaître, apparemment paisibles, montrent d’autres visages, explique la chercheuse : « Il y a des gens qui vivent bien dans le chaos, si on peut dire. Pour eux, passer d’un contexte à un autre, ça va. D’autres personnes ont davantage besoin de stabilité et de points de repère clairs qui reposent sur l’habitude. »

Un autre domaine potentiellement explosif est celui du partage des frais et des responsabilités. En principe, louer un espace commun et partager la préparation des repas réduisent significativement la charge mentale et financière. Et tout le monde semble s’entendre sur la règle d’or d’un partage égal. Mais toutes les voyageuses préconisent aussi la souplesse sur ces points pour éviter les échanges d’argent, les calculs continus ou la mise en évidence des différences de goûts et de budgets. Comment résoudre tout cela? Partage de la facture? Alternance? Mise en commun des biens ou des repas sans échange d’argent? La formule varie selon les groupes, leurs moyens, mais aussi leur histoire commune. Par exemple, on sépare les factures quand on se connaît moins, alors qu’on choisit plus volontiers l’alternance lorsqu’on se connaît bien.

 

COMMUNIQUER : QU’ENTEND-ON PAR LÀ?

Ces cohabitations temporaires de vacances provoquent des situations où l’on se voit, mutuellement, réagir entre intimes devant l’imprévisible. Les balises du départ n’écarteront donc jamais tout à fait ces partages de l’intimité que l’on redoute ou que l’on cherche à retrouver. Mais comment trouver le mot juste lorsque, devant ce qui se dévoile, le silence ne tient plus la route?

 

Parents en rôle de soutien

Lili s’est sentie particulièrement choyée lorsqu’elle s’est présentée avec son poupon, lors d’un voyage en compagnie de plusieurs partenaires. Ceux-ci ne demandaient pas mieux que de le prendre dans leurs bras puis de l’amener en promenade. Cela lui a permis de s’alléger les bras tout en offrant à son enfant l’occasion de socialiser. Elle a aussi eu droit aux espaces les plus retirés pour faciliter son sommeil.

Cette sollicitude s’est manifestée peut-être encore plus, dans le groupe de Lili, par les mots et les gestes que chacun a su retenir, lorsqu’un silence compréhensif s’est avéré de mise : « C’est déjà arrivé, un enfant qui faisait des terreurs nocturnes : il a pleuré et crié pendant une heure. Et nous, nous étions dans notre tente et nous avons compati. C’est dommage pour l’enfant et c’est stressant pour ses parents. Mais je pense que nos amis savent aussi que nous ne leur en voulons pas si leurs enfants font du bruit. Nous savons ce que c’est, nous aussi, d’avoir des enfants. »

 

S’adapter aux différences

Malgré tout, les différends entourant l’argent, les tâches, les repas et les activités, avec ou sans crises d’enfants à gérer en parallèle, opposent rarement les grands longtemps. Farida a toutefois remarqué qu’après un débat idéologique plus houleux, la poussière est parfois plus longue à retomber. Bien qu’il n’existe pas de statistiques proprement dites à ce sujet, un tel constat n’étonne pas vraiment Roxane de la Sablonnière.

La création d’un groupe où chacun devient plus ou moins interdépendant amène toujours aussi, de façon plus générale, tous les risques associés à un effet de groupe. Ils pourraient finir par affecter douloureusement les enfants, les adultes, le groupe, et même la suite des relations entre les familles, souligne Mme de la Sablonnière : « Et qu’avons-nous comme phénomènes de groupe? La discrimination, le rejet. Il faut garder un œil sur cela, si on veut que ça se passe bien. Si on voit quelqu’un qui est constamment mis de côté ou rejeté par certains membres du groupe qui disent : ”Qu’il est donc fatigant!”, ça peut devenir souffrant pour tout le monde. »

 

Repenser la communication

À propos des échanges un peu trop houleux, une des solutions qui vient spontanément à la tête de nos voyageuses est celle de l’humour. Ses effets ne sont cependant pas toujours heureux : si, dans certains cas, il parvient à détourner l’attention ou à rappeler en douce une erreur de planification à ne pas répéter, il peut parfois blesser les personnes qui en sont trop souvent la cible.

Une bonne résolution de communication de Lili a été d’éviter de s’exprimer sous le coup de l’émotion. Pour manifester ses désaccords, même les plus légitimes, à un projet du groupe, elle préfère maintenant privilégier le contact direct avec des personnes ciblées plutôt que des échanges courriels ou Messenger à tous. De tels échanges ont causé des désengagements, et elle a dû alors rétablir les liens de confiance après une missive un peu froide : « Je pense que l’expérience nous a appris que, par écrit, dans les grands groupes, on peut régler des petites choses, comme de trouver une date, mais cela ne fonctionne pas super bien lorsqu’on s’oppose sur un point. » 

Roxane de la Sablonnière voit même quelques autres avantages à régler les tensions en direct, après que l’on ait bien sûr soupesé ses mots. Par exemple, cela apprend aux enfants que, même hors des dynamiques de la maison, et peut-être différemment, leurs parents doivent aussi négocier et surmonter des mésententes, comme ceux-ci leur demandent de le faire au quotidien, à l’école ou à la garderie : « C’est la même chose que dans un couple, dans une famille : tu ne veux pas toujours que les enfants soient exempts des problèmes. Si tu ne laves jamais ta casserole et que ton chum te le dit, est-ce qu’il faut vraiment que tu ailles avec lui dans une pièce séparée pour qu’il te le dise? »

Donc, le voyage à multiples convives, une façon de se simplifier la vie? Peut-être pas, mais une occasion de l’enrichir! S’échapper du cadre tous ensemble permet aux enfants d’en retirer un lot d’expériences. Ils recueillent quelques images de parents et d’enfants pas parfaits, en constant ajustement, qui parviennent malgré tout à s’émerveiller. Ils apprennent donc ensemble comment tisser et retisser des liens toujours plus souples, légers et solides à la fois, qui peuvent servir de refuge, comme une bâche, en cas d’intempérie.