La phobie scolaire, doit-on s’en inquiéter ?

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Date de publication

mardi 21 février, 2023

Avoir des enfants qui ne visent rien de moins que les sommets de la réussite scolaire sur tous les plans et qui s’inventent chaque jour des stratégies bien à eux pour gravir ce qui leur semble être une montagne : le rêve de tous les parents ? Voilà pourtant quelques ingrédients pouvant mener droit à la phobie scolaire, dont les conséquences ont de quoi, selon les chercheurs, faire déchanter bien des parents : anxiété, détresse, envie de décrocher, désengagement… bienvenue dans le monde de l’école qui fait peur ! 

LA GÉNÉRATION PERFORMANCE DROIT DEVANT  

L’anxiété vient en tête de liste des facteurs qui rendent l’école inquiétante, pour la majorité des chercheuses consultées.

 

La valorisation de la méritocratie

Pour plusieurs jeunes, les évaluations représentent une source perpétuelle d’angoisse. Cela peut sembler, aux anciens étudiants que sont les parents, un événement assez peu nouveau sous le soleil. Pourtant, selon
Isabelle Plante, du département didactique à l’UQAM et spécialiste de l’anxiété de performance, le climat de « méritocratie » des écoles d’aujourd’hui suscite des attentes nettement plus élevées qu’elles ont pu l’être dans les décennies précédentes.  

Plus que jamais, avance cette professeure, avec la multiplication des programmes d’élite, l’admission dans une école privée ou dans un programme convoité peut être perçue comme un impératif de réussite sociale future : « Il y a une belle méta-analyse qui avait été faite à partir d’une cohorte Canada, États-Unis, Angleterre, qui démontrait qu’à travers des cohortes à 30 ou 40 ans d’écart, le perfectionnisme avait significativement augmenté dans les sociétés plus aristocratiques, c’est-à-dire qui adhèrent à cette doctrine qui pousse sur les jeunes pour qu’ils performent de plus en plus. Et un des lieux où ça se passe, c’est à l’école, à travers cette espèce de quête de performance de plus en plus élevée. »  

Plusieurs victimes de cette anxiété du primaire et du secondaire sentent alors qu’ils peinent à suivre le rythme, quoique, précise cette chercheuse, la plupart d’entre eux n’osent pas faire le grand saut pour décrocher de l’école. Ils finissent plutôt par se trouver des échappatoires ou se culpabiliser de ne jamais en faire assez. 

Certains parviennent alors à atteindre les objectifs en redoublant d’efforts, assure Tina Montreuil, directrice du Laboratoire Anxiété infantile et régulation des émotions Groupe de recherche CARE, de l’Université McGill. Mais la gloire ne leur procure pas nécessairement la félicité au bout du chemin : « Un enfant peut être dans la norme, même un peu au-dessus. Selon les études, si vous le poussez avec des attentes irréalistes — et là, je ne parle pas de quelqu’un qui procrastine parce qu’il est paresseux —, on peut voir que ces enfants-là seront plus stimulés. Cela donne des enfants qui, si on les avait laissés faire, ne seraient sans doute jamais devenus médecins, mais ils finissent médecins, tout en étant super névrosés. Il y a d’autres types de professionnels aussi qui sont super médicamentés pour demeurer fonctionnels. »

Un cadre souple, la quadrature du cercle ?

Il est vrai que de provenir d’un milieu privilégié et d’être entourés de parents très motivés par la réussite préparent les enfants à un avenir plus « enviable ». Les chercheuses soulignent toutefois que ces normes élevées de l’acceptabilité qui règnent dans ces milieux privilégiés peuvent mettre à rude épreuve le sentiment d’être aimé inconditionnellement.  

Il ne suffit pas de réussir cet examen pour jouir du sentiment du devoir accompli. Et pour cause : ces jeunes, que rencontre la psychoéducatrice et autrice Suzie Chiasson-Renaud, s’évaluent souvent en fonction des normes qu’ils ont intériorisées : « J’ai rencontré des enfants qui avaient des moyennes de 85 % et qui faisaient des crises d’anxiété parce que, d’après eux, 85 %, ce n’était pas assez pour réussir sa vie. Et c’est ce qui arrive avec l’anxiété de performance : pour eux, l’échec ce n’est pas en bas de 60 %, c’est en bas de ce que j’ai déjà été capable d’avoir, ou en fonction des objectifs qu’ils se sont fixés. » 

Tina Montreuil explique cependant que les parents qui se laissent prendre dans cet engrenage avec leurs enfants le font souvent avec les meilleures intentions du monde. Ils perçoivent aussi souvent les notes de leurs enfants comme le reflet de leurs propres compétences parentales : « Parce que l’enfant est comme une extension de soi. »

L’anxiété dans les gènes ?

Les parents font-ils fausse route, en se pointant ainsi du doigt, à propos de la réussite de leurs enfants ? Pourtant, d’autres facteurs environnementaux pèsent dans la balance et les propos qui peuvent influencer l’enfant ne proviennent pas toujours de la bouche des parents. Les aptitudes intellectuelles, les difficultés d’apprentissage et le tempérament inné entrent aussi parmi les facteurs à considérer. Il n’en reste pas moins que la proportion d’enfants anxieux ayant au moins un parent anxieux demeure élevée.  

Toutefois, l’anxiété dépend également de la culture que l’on se crée et, pour cette raison, un des premiers conseils qu’offre d’ailleurs Tina Montreuil aux parents qui veulent aider leurs enfants, est d’apprendre à mieux gérer leur anxiété et d’offrir à leur descendance un modèle de personne attentive qui s’accorde, elle aussi, du temps pour relaxer. 

Isabelle Plante, pour sa part, suggère plutôt de revoir la façon dont la famille a pris l’habitude de s’accorder son droit à l’erreur : « Si nous valorisons l’erreur comme une partie du processus ou que nous la présentons aux jeunes comme un signe qu’il n’a pas encore tout compris et que l’on peut savoir quoi retravailler, que ce n’est pas grave, plutôt que de la condamner, ce serait déjà un très grand principe, même si c’est plus difficile à faire qu’à dire. »

 

Entre équilibre et adaptation

Plus facile à dire qu’à faire aussi : présenter à l’enfant une image juste et stimulante des défis qui l’attendent à la grande école. Car d’après Louise Lafortune, de l’Université de Trois-Rivières, autant une vision idéalisée que pessimiste risque d’augmenter l’angoisse, lorsque l’enfant se confronte à des difficultés : « On pense parfois aider un enfant en disant "Tu vas voir, cela va être facile, tu vas t’adapter facilement, tout va bien aller.” Mais cela veut dire que, au moment où il y a un obstacle, l’enfant va se demander pourquoi pour lui ce n’est pas aussi facile. »  

Par ailleurs, cette professeure et chercheuse en science de l’éducation constate les ravages que peuvent causer les propos d’un parent qui confie à quel point l’expérience scolaire fut pénible pour lui : « Si le parent dit qu’il n’a pas aimé cela, l’enfant peut peut-être penser que c’est presque génétique. »  

Tina Montreuil, au contraire, insiste sur l’importance d’adapter son approche à chaque enfant. Cela signifie toutefois d’accepter que certains ne se développent pas forcément comme leurs grands frères : « Peut-être que mon petit Simon pourra avoir une relation plus distante avec l’enseignant, parce qu’il est déjà très autonome, mais que Louis aura besoin de relations beaucoup plus étroites, parce qu’il a du mal à se contrôler tout seul. Cela pourra se faire par le rappel ou une préparation en début de journée. »

 

PEUR, QUAND TU TE CACHES…  

Lorsque l’enfant ne nomme pas son anxiété, il arrive que son corps ou que ses gestes d’évitement parlent pour lui. Il peut développer des symptômes physiques, comme des crises de panique, de l’insomnie ou des maux de ventre ou de tête bien réels, au point où ses parents pensent qu’il est justifié de le garder à la maison, sans avoir nécessairement reconnu la source du problème.

 

Le cercle vicieux de l’évitement

Une fois que le projet de partir à l’école est écarté, l’enfant prend rapidement du mieux, ce qui peut créer un renforcement de l’évitement… qui s’activera de nouveau le lendemain. Suzie Chiasson-Renaud avertit toutefois que ce cycle de l’évitement comporte un lot de conséquences néfastes pour ces jeunes déjà fragiles comme la désocialisation, une certaine marginalisation, l’isolement social et affectif, allant jusqu’à l’aggravation de l’anxiété ou de la dépression. Les séquelles à long terme ne sont non plus ni rares ni négligeables.  

Et cette psychoéducatrice a pu constater des effets similaires chez plusieurs jeunes, lorsque le contexte social de la COVID a entraîné le confinement : « Alors le défi d’y retourner à temps plein [à l’école] devient pour eux beaucoup plus grand. Dans la dernière année où j’étais à l’école, j’en ai vu, moi aussi, des jeunes pour qui c’était plus difficile, qui sont pris en charge par les services hospitaliers, parce que c’était vraiment trop pour eux. »  

Les jeunes évitent, souvent inconsciemment, de consacrer du temps à ce qui leur fait appréhender un insupportable échec, par des moyens comme la rêvasserie durant les heures de classe, des stratégies d’étude inadéquates. Isabelle Plante remarque que ces jeunes finissent alors souvent par conclure à leurs faibles aptitudes intellectuelles devant des résultats décevants : « Et ça, c’est une partie du problème : des enfants ne sont même pas conscients de ce qui est en train de se passer : ils n’aiment pas cela parce qu’ils ne se sentent pas bons et, là, c’est une roue qui tourne. Moins on est bon, moins on s’engage, et moins on se prépare, moins les stratégies d’étude deviennent efficaces, on réussit moins bien, et ça continue. » 

 

Essayer de comprendre, malgré tout

Qui plus est, mentionne Isabelle Plante, quoiqu’une minorité des étudiants anxieux parviennent à de bons résultats, la plupart n’atteignent simplement pas des seuils qui sonnent l’alarme : « Ce n’est pas chez ceux qui échouent à plate couture. C’est chez ceux qui sont entre 60 % et 70 %. »  

Pourtant, l’anxiété de performance ou la phobie sociale ne suffisent pas à expliquer pourquoi des enfants rechignent parfois à faire leurs devoirs. Il existe néanmoins des raisons de suspecter l’anxiété lorsqu’on la voit en train de dominer l’esprit dans plusieurs nouvelles situations.  

Cela dit, la démotivation et l’anxiété peuvent cohabiter. La multiplication des échecs peut avoir raison de la motivation. L’enfant peut également se prétendre moins touché par ceux-ci qu’il ne l’est réellement. Une intolérable angoisse incite parfois les enfants à chercher la fuite dans les jeux vidéo tant décriés. D’où l’importance, selon Tina Montreuil, de creuser la question du « pourquoi » : « Quelle est l’utilité de cette fuite ? Même les adultes vont parfois préférer fuir dans un monde imaginaire. On se distrait, donc on ne fait pas face à la réalité qui nous rend anxieux ou même dépressifs, dans certains cas, chez les adultes ou les enfants. »  

Louise Lafortune souligne également qu’à des âges où la réalité apparaît souvent toute blanche ou toute noire à des enfants qui se sentent trop inquiets pour réfléchir, un brin de discussion constitue déjà un bon premier pas pour découvrir que la réalité n’est pas si terrible dans son ensemble : « Vérifiez les interprétations : lorsqu’un enfant dit qu’il n’aime pas l’école, il est possible qu’il n’ait pas aimé cette journée-là, mais pas l’école au complet. »

 

Pas seulement une question de notes !

Par ailleurs, un parent qui voit son enfant appréhender l’école doit parfois en chercher la cause plus loin que la peur des mauvaises notes. D’autres pans de la vie, comme ceux de la vie sociale et de la recherche identitaire contribuent ou nuisent considérablement à la façon de vivre son expérience scolaire, explique Louise Lafortune : « On va vivre des difficultés et des échecs, alors que certaines disciplines scolaires exigent plus de continuité. Alors si, parce qu’il y a eu ces perturbations, nous n’avons pas écouté durant une semaine, on a moins travaillé, cela va avoir un effet sur la semaine suivante. »  

Inversement, Isabelle Plante fait remarquer qu’une exploration plus globale des atouts de l’enfant gagnerait à être mise de l’avant chez ceux pour qui les résultats, les sanctions ou même les relations interpersonnelles commencent à miner l’estime de soi : « Il y a toute une base de recherche qui montre que le parascolaire amène l’attention ailleurs, et en se développant ailleurs, on développe une meilleure estime qui rejaillit dans la confiance en soi de l’enfant à l’école. Paradoxalement, même ceux qui performent moins vont parvenir à gérer leur peur et à assumer que ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas bons en mathématiques qu’ils sont de mauvaises personnes. Ils voient qu’ils peuvent se dépasser au basket-ball, au patin, peu importe. »

 

SAVOIR JOUER LES SECONDS RÔLES SUR LA SCÈNE DE L’ÉCOLE 

Pour prendre confiance en lui, l’enfant a tout avantage à découvrir ce qu’il sait accomplir par lui-même. Avec le temps, il finira par se sentir la force d’affronter ses doutes… si on lui en laisse la chance. En effet, pour un parent, voir son enfant perdre ses repères sans intervenir, avant qu’il en ressorte plus fort, exige beaucoup de retenue.

 

Attention, parents bulldozers à l’horizon

La tendance de certains parents à intervenir avant même d’avoir laissé les enfants expérimenter ces difficultés est ce que Tina Montreuil appelle le « parent bulldozer », une attitude qui porte celui-ci à faire l’impossible afin d’écarter du chemin les formes de souffrances, physiques ou psychologiques, auxquelles son enfant pourrait se buter : « Faire de la bicyclette, c’est difficile. Et quand on tombe, ça fait mal à l’ego, à mon genou et à mon coude. Le point est que même si c’est difficile, avec l’effort et la persévérance, l’engagement et le fait que je sache que je vais y arriver, c’est ce qui fait que je vais surmonter les difficultés. »  

Cette tendance a aussi été remarquée par Louise Lafortune, alors que plusieurs enfants qu’elle interviewait se sont plaints que leurs parents faisaient leurs travaux à leur place plutôt que de les aider : « Une autre solution, c’est que le parent dise à l’enfant qu’il ne répondra à ses questions que par oui ou par non », suggère-t-elle plutôt.  

Une autre variante de ce phénomène, observée par Tina Montreuil, est la tendance à encadrer un enfant de façon extrême pour la préparation d’un examen, afin de s’assurer sa réussite, ce qui montre finalement que le parent désire plus réussir que l’enfant. L’enfant n’apprend donc ni à se mobiliser ni à assumer sa propre crainte de l’échec et de ses conséquences.

 

Soutenir l’enfant avant d’interpeller l’école

Malgré ce grand principe général, Isabelle Plante concède qu’il ne faut pas s’attendre non plus à ce que les enfants, surtout en bas âge, trouvent toujours une motivation intrinsèque à leurs premiers apprentissages : « Mettez-vous à la place d’un jeune enfant qui apprend à lire : ce n’est pas facile. Il n’est pas capable de lire quelque chose d’intéressant et de captivant, parce qu’il est seulement dans l’effort qui précède le plaisir. C’est comme faire ses gammes. »  

Devant des situations aussi complexes, la question n’est donc pas d’intervenir ou non. Il s’agit de trouver les façons qui permettront à l’enfant de se débrouiller seul par la suite. Il en va de même pour les apprentissages, souvent très complexes, concernant les règles implicites de la cour d’école. Isabelle Plante en est bien consciente : « On leur apprend à exprimer un désaccord ou à s’affirmer, parce que ce n’est pas facile d’être capable de dire à un autre enfant "Lâche-moi, c’est assez !” sans avoir un comportement comme une crise de colère qui n’aurait pas de sens non plus. »  

Selon Tina Montreuil, les parents gagnent à évaluer la situation en profondeur et à attendre quelques jours avant de monter aux barricades et d’appeler immédiatement l’enseignante ou d’écrire à la direction : « Ça, c’est peut-être une bonne idée quand on a un enfant de quatre ans, mais lorsque l’enfant a huit ou neuf ans, je pourrais parler avec mon enfant d’abord. Cela nécessite plus de temps, mais je pourrais lui demander "Mais qu’est-ce que tu as fait ?”, "Quelle a été la réaction de l’autre ?” »  

Selon Louise Lafortune, l’enfant est déjà capable d’un minimum d’introspection dès l’enfance. En revenant avec ses parents sur les faits, en reconnaissant tout élément de sa part qui a pu contribuer à son écueil, l’enfant s’accorde beaucoup plus de pouvoir sur la possibilité de changer les choses : « À ce moment, cela va aider à la confiance en soi et à l’estime de soi. Cela va donc aider à la réussite par la suite, parce que nous allons pouvoir trouver des solutions. »

 

Collaborer avec l’école, en douce

La psychoéducatrice Suzie Chiasson-Renaud souligne l’importance particulière de cette collaboration pour les enfants qui démontrent déjà des signes d’anxiété ou de refus scolaire, puisque la sollicitude sans communication risque de bousiller les efforts, de part et d’autre.

 

AU TRAVAIL, LA FAMILLE !  

Laisser de la place aux enfants ne vise pas à détrôner les parents de leur rôle et de leurs responsabilités, au contraire ! Il s’agit plutôt d’encourager à œuvrer en amont, pour que l’enfant y arrive, prêt à affronter la bataille.

 

La stimulation précoce : là où tout se joue

Les parents sont même chaudement invités à s’impliquer dans les étapes d’apprentissage préscolaire de leurs enfants pour que ceux-ci ne se sentent pas trop perdus à l’école, recommande Isabelle Plante : « Si on regarde un des principaux facteurs de la réussite et de la persévérance scolaire, pour le premier cycle du primaire, c’est la connaissance des lettres. »  

Cependant, même avec cette volonté ludique, l’écoute et la subtilité restent de mise, car déjà, devant des enfants en phase préscolaire, l’anxiété des parents qui veulent absolument voir leurs enfants prêts pour l’école pourrait commencer à se faire sentir.

 

Désensibiliser les enfants à la peur de l’inconnu

Même avec des mots et des lettres plein la tête, les grandes transitions, comme l’entrée à l’école ou au secondaire, augmentent le niveau de stress. Suzie Chiasson-Renaud indique alors que tout ce qui aide les enfants à anticiper ce qui les attend contribue à rendre ce nouveau départ un peu plus facile, qu’il s’agisse de visiter l’école ou d’en regarder des photos.  

On peut même retirer quelques sujets de la liste des inquiétudes avec un peu d’exercice, par exemple, en aidant un enfant à maîtriser le fonctionnement de son cadenas quelques jours plus tôt, ou encore en lui donnant un certain contrôle sur des éléments comme le choix de la boîte à lunch ou de l’heure de l’arrivée à l’école.  

Les parents gagnent aussi à se rappeler que leur enfant a déjà connu son lot de transitions et qu’ils peuvent contribuer à ce processus d’apprivoisement à travers de nouveaux lieux – par exemple –, comme ceux où se déroulent les activités parascolaires ou les camps de jour, surtout s’il a fallu sociabiliser avec des camarades.  Ainsi, les parents préparent l’enfant à ce grand événement.  

 

Apprendre de ses expériences

Tous ces bons soins n’empêcheront cependant probablement pas les enfants, que l’école inquiète, d’en revenir parfois affolés. Lorsque cela survient, Suzie Chiasson-Renaud suggère d’attendre un peu avant de tenter de vaincre sa dernière frousse, car il semblerait que cœur affolé n’ait pas d’oreille. Lorsqu’il y a une trop grosse émotion, et l’anxiété en est une, il y a comme une déconnexion avec le cerveau rationnel. C’est plus le cerveau limbique qui prend le contrôle et son travail, à lui, n’est pas de réfléchir. C’est de vivre l’émotion. À ce moment, on arrête et on trouve des stratégies pour se calmer.   

La psychoéducatrice annonce même que ces pauses devront parfois être répétées à quelques reprises avant d’en venir au rationnel. En effet, nier le bien-fondé de la peur ne servirait pas à grand-chose puisque l’enfant sent bel et bien battre son cœur dans sa poitrine, que les autres jugent ses raisons de s’inquiéter futiles ou non.   

Cette patience vaut son pesant d’or, assure Suzie Chiasson-Renaud, surtout si elle aide l’enfant à choisir les moyens de se calmer auxquels il fera assez confiance pour les reprendre par la suite : « Peu importe la peur que tu auras, ce genre d’outils peut fonctionner. Et si le cœur bat seulement trop vite, l’enfant peut s’arrêter et se demander s’il a besoin d’aller courir, marcher, écouter de la musique ou méditer. Même si ce sont de nouvelles peurs, ça fonctionne toujours. »

 

Puiser dans des forces communes

Ces choix n’aident pas seulement à gérer l’anxiété. Ils aident aussi à identifier les éléments qui nuisent à l’enfant et les stratégies d’apprentissage déjà essayées que l’enfant souhaite reprendre et adapter, explique Louise Lafortune : « Demander à un enfant pourquoi il n’aime pas l’école, pour moi, ce n’est pas une bonne question. Il est préférable de partir de ce que l’on aime et de demander à un enfant "Pourquoi tu aimes ça ?”, "Quelles sont les stratégies que tu utilises lorsque tu fais… du patin à roues alignées, de la planche à roulettes, ou n’importe quelle autre activité?", "Comment fais-tu pour te pratiquer ?”, "Qu’est-ce qui te donne envie de pratiquer ?” On peut ensuite essayer de transférer ces idées-là en disant "Maintenant, est-ce qu’on pourrait essayer cela pour l’école ?” C’est l’enfant qui apporte des solutions. »  

Les enfants, soutenus par leurs parents, peuvent donc s’ouvrir à leur expérience, mais aussi, avec la capacité d’empathie qui se développe, à celle des autres. Ainsi, Tina Montreuil pense que le parent et l’entourage peuvent joindre quelques-unes de leurs expériences à la discussion. Par ces confidences, ils contribueraient à resserrer les liens, tout en montrant à l’enfant que se frotter à des difficultés relationnelles constitue une situation normale et surmontable, même pour les grands.

 

Maintenir le dialogue avant tout

Pour Isabelle Plante, maintenir les portes ouvertes entre les parents et les enfants et s’intéresser à ce que les enfants font sont les meilleurs moyens de les préserver de la détresse ou même du décrochage. Cette co-autrice d’un livre nommé Pleurs, crises et opposition chez les tout-petits… et si c’était l’anxiété est bien placée pour savoir que, lorsque l’anxiété et l’opposition s’entremêlent, chez les enfants grandissants, le silence s’impose parfois un peu plus que ne le voudraient les parents : « Ce que les chercheurs ont remarqué est que, très souvent, la communication n’existe tout simplement plus avec ces fameux élèves qui manifestent ce que l’on pourrait considérer comme une forme de refus scolaire et qui adoptent vraiment de graves comportements d’évitement ou d’opposition. »   

Difficile, en effet, de rouvrir une porte qui s’est fermée. Louise Lafortune a toutefois, au fond de son sac à outils, quelques questions, pour manifester son intérêt au jeune, aptes à déjouer quelques très typiques « Bof… correct » de l’adolescence : « Lorsqu’une personne exprime davantage de réactions affectives face à l’école, il faut peut-être l’écouter et poser des questions. Et si une personne n’en exprime pas, c’est important aussi d’en discuter. On peut lui demander "Qu’est-ce que tu penses de l’école ?”, "Qu’est-ce qui est positif pour toi à l’école ?”, "Qu’est-ce que tu aimes le plus ?” Je ne demanderais pas "Qu’est-ce que tu aimes ?” Je vais plutôt demander : "Qu’est-ce que tu aimes le plus ?” et "Qu’est-ce que tu aimes le moins ?”, parce que même si nous n’aimons pas l’école, il y a au moins quelque chose de plus agréable là-bas. »  

Louise Lafortune présume qu’en effet les amis ou les heures de récréation peuvent parfois échapper à cette impression hostile envers l’école. Tina Montreuil entrevoit aussi d’autres raisons de porter une oreille attentive à ces relations amicales : elle a déjà pu voir et entendre, même en clinique, des observations privilégiées de l’entourage amical sur le déclin de l’humeur d’un jeune : « Sans nécessairement développer des amitiés avec les amis de nos enfants, au moins jouer un rôle parental modèle auprès d’eux, pour s’assurer que l’on a ce rapport qui fait que, si jamais notre adolescent est préoccupé par quelque chose, on puisse avoir accès à eux. Parfois, on constate, lorsque les adolescents ne vont pas bien, que, six mois auparavant, leurs amis l’avaient déjà remarqué. »  

Il est vrai qu’avec toutes ces préventions, la liste de recommandations se prolonge dangereusement pour des parents à qui on demande d’abord de se montrer bienveillants avec eux-mêmes, afin de demeurer de meilleurs aidants. Commencer par reconnaître les limites et les formes d’aide, même informelles, à portée de main, peut déjà aider à remettre le relationnel sur les rails. On se donne ainsi la chance d’échapper au train de vie de la performance qui traverse un trop grand nombre de chaumières.