Osez le jeu risqué !

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Date de publication

jeudi 11 novembre, 2021

Ressource

Anik Routhier

La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Elle comporte parfois son lot d’embûches et d’incertitudes. Le jeune enfant, lui aussi, doit apprendre à prendre des risques… Que ce soit au moment de faire ses premiers pas, de se balancer seul ou de sauter d’un module de jeu, chaque « première fois » représentera pour lui des défis qu’il relèvera de manière différente selon l’attitude des adultes qui l’entourent. Deviendra-t-il craintif ou apprendra-t-il à apprécier et à calculer le risque, voire à y prendre même plaisir ? Cet article met en lumière certaines pistes de réflexion à cet égard qui pourront vous aider à oser le jeu risqué avec votre enfant, car ce dernier se révèle probablement plus positif que vous ne le croyez. 

 

Prise de risque et danger

Avant d’aller plus loin, il est essentiel de distinguer la prise de risque du danger. Une prise de risque comporte, certes, un élément de danger (p. ex., l’enfant peut tomber, s’égratigner, vivre une douleur tolérable…), mais il est connu, vu et compris par l’enfant, que ce dernier est conscient que le risque existe. En outre, la proportion dangereuse du risque en question n’est pas préjudiciable à long terme (pas de bras cassé, de brûlure ou de douleur insupportable en vue), ou du moins, il est très peu probable qu’une telle conséquence survienne. Le danger, quant à lui, est non connu ou vu de l’enfant, donc il dépasse la compréhension de l’enfant. Par exemple, un jeune enfant n’est pas en mesure d’évaluer la gravité que peut représenter le fait de traverser une rue passante sans être accompagné. La situation est donc dangereuse, puisque l’enfant n’a pas une conscience réelle du danger.

Bref, il faut évaluer la nature du risque (connu et compris) pour distinguer s’il s’agit bien d’un risque ou d’un danger pour l’enfant. Il importe aussi d’analyser l’impact de la conséquence, et de prendre en considération qu’il est normal, parfois, de se faire mal. Il n’y a qu’à se rappeler sa jeunesse pour s’en convaincre. Après tout, qui ne s’est jamais blessé en jouant ou en faisant du sport ?

 

Protection et surprotection

Cette évaluation de la nature du risque permet en fait au parent de se placer dans une position de protection, et non de surprotection. Un parent surprotecteur souhaite épargner TOUT risque à son enfant, alors qu’un parent qui protège veillera à ce que l’environnement soit suffisamment sécuritaire pour que l’enfant fasse ses expériences sans craindre de graves conséquences.

Par exemple, un parent surprotecteur empêchera un enfant de grimper dans un module surélevé alors que le parent protecteur se positionnera pour rattraper l’enfant en cas de chute. Le parent protecteur a donc développé une tolérance au risque, lorsque ce dernier est connu et acceptable, alors que le parent surprotecteur ne présente aucune tolérance au même risque. En outre, ces deux types de parents se reconnaissent par leur attitude ; le premier baigne dans la confiance alors que l’autre se méfie de tout. Le parent protecteur observe et offre du soutien au besoin, alors que le parent surprotecteur tend à « faire à la place » de l’enfant ou à interdire. En somme, il ne tient qu’à vous d’ajuster vos comportements afin de laisser à votre enfant la liberté de faire ses expériences.

 

Les avantages du risque calculé

En étant protecteur plutôt qu’en surprotégeant, et en laissant votre enfant affronter des défis, vous lui offrez un cadeau précieux : celui d’apprendre à calculer par lui-même les risques. Comme vous ne serez pas toujours là pour les lui mettre en évidence, il vaut mieux qu’il réalise le plus rapidement possible cet apprentissage. Faites confiance à votre enfant, il a lui aussi cette propension innée à ne pas vouloir se faire mal. Évidemment, il n’a pas conscience de tout (p. ex., la hauteur d’une chute potentielle dans un module de jeu), mais avec une attitude présente et confiante dans les moments où vous accompagnez votre enfant, vous lui montrez la voie pour juger éventuellement seul des dangers qui l’entourent, et des risques qu’il est possible de prendre.

L’enfant osera donc de plus en plus, ce qui l’amènera à sortir graduellement de sa zone de confort. Cette attitude se veut transférable à bien des égards, car même une fois adulte, tous n’ont pas cette propension à oser essayer de nouvelles aventures, ou encore à risquer l’échec.

En outre, la prise de risques se veut aussi une manière d’apprendre à gérer ses peurs et à faire preuve de courage. Le concept de risque inclut toujours une possible conclusion négative, ce qui peut constituer une source de crainte, mais l’enfant apprend à aller au-delà de ses peurs pour agir. Par ailleurs, la fierté d’avoir outrepassé sa peur et réussi à accomplir un petit ou un grand exploit vaut de l’or pour l’enfant. C’est d’ailleurs une excellente façon pour lui de bâtir son estime de lui-même, celle-ci se construisant surtout dans l’action, et non dans les paroles vides (p. ex., dire à l’enfant : « Tu es un champion », alors que l’enfant n’a rien fait de particulier).

 

Créer des situations de risque

Pour que l’enfant prenne des risques, il doit en avoir l’occasion, et ce, à maintes reprises. Le meilleur endroit pour offrir de telles occasions s’avère sans contredit l’extérieur. Les modules de jeux, bien entendu, constituent des lieux parfaits pour tester le jeu risqué. Cela dit, c’est dans la nature que l’enfant aura probablement le plus de plaisir à tester ses limites personnelles, en même temps que sa créativité.

En effet, la nature regorge de possibilités. Un tronc d’arbre mort jonchant le sol devient une poutre naturelle sur laquelle l’enfant tente de maintenir son équilibre. Un énorme rocher se transforme à la fois en mur d’escalade, puis en tremplin pour revenir au sol. Un ruisseau peu profond devient l’occasion d’essayer une traversée sans glisser dans l’eau… Un arbre solide invite l’enfant à grimper et à se balancer. Toutes ces occasions sont des invitations pour que l’enfant s’invente des jeux et prenne des risques calculés. L’ennui n’a pas sa place en nature !

Cela dit, au sein même de votre demeure, l’enfant peut aussi prendre des risques. La cuisine constitue le lieu par excellence pour cela. La manipulation des ustensiles de cuisson de même que la proximité de sources de chaleur sont deux éléments risqués auxquels l’enfant a tout avantage à s’habituer, puisqu’ils font partie du quotidien. Non seulement cela aidera à diminuer les dangers si votre surveillance faillit, mais cela permettra également à l’enfant de gagner en autonomie et, pourquoi pas, d’apprendre à cuisiner. Introduisez les articles de cuisine graduellement (p. ex., choisissez d’abord des couteaux peu affûtés, ou des tasses à mesurer en plastique plutôt qu’en verre) pour habituer l’enfant à son rythme.

Vous pouvez aussi, sous supervision, amener l’enfant à utiliser des outils pour construire ou détruire des objets. Marteau, scies, tournevis… Les enfants ne demandent pas mieux que de s’initier à leur usage, encore une fois, de manière progressive.

 

Oserez-vous le risque ?

Tout risque n’est pas un danger, il importe de bien le réaliser. Comme parent, votre rôle est de protéger, mais non de surprotéger votre enfant, de manière à ce qu’il expérimente le risque et puisse avec le temps être en mesure de l’évaluer lui-même. Cela lui permettra d’élargir sa zone de confort à son rythme et d’être en mesure de réagir à toute situation, même en votre absence. Et à plus grande échelle, c’est ainsi que votre enfant développera son estime de lui ! Bref, prenez le risque du jeu risqué ! Ça en vaut le coup ! 
 

Texte : Anik Routhier
Enseignante en Techniques d’Éducation à l’enfance 

Photos : Annie Spratt  Unsplash