LA CULPABILITÉ PARENTALE... Faut-il en faire un drame ?

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Date de publication

vendredi 23 octobre, 2020
À ma belle-sœur Quynh-Anh, 
que j’ai vue se noyer de reproches,
les jours où je l’admirais tant
 

Quel parent n’a jamais rêvé du jour où la petite voix de la culpabilité cesserait de remettre en question ses efforts et son bon sens ?

 

Pas si grave, la culpabilité ?

D’accord, nous laisser envahir par la culpabilité laisse moins de place à l’heureux sentiment du devoir accompli. Pourtant, les parents et les experts promettent que nous sortons généralement grandi du dialogue qui s’installe avec cette petite voix. Alors, s’il existe une infinité de raisons de nous sentir coupable, « la culpabilité de se sentir coupable », elle, au moins, pourrait être rangée au placard de temps en temps.

 

D’abord, la sonnette d’alarme

Chantal Martel, psychologue en pédiatrie à l’hôpital Montréal pour enfants, souligne que les études s’empilent pour confirmer qu’un certain niveau de culpabilité va de pair avec de saines attitudes parentales, pour autant que cette culpabilité ne vire pas à l’anxiété incontrôlable : « Lorsqu’on prend la culpabilité comme une forme d’empathie, on peut la voir comme la petite sonnette qui nous avertit ?Est-ce que je me soucie seulement de mes besoins à moi ou aussi de ceux de mon enfant ?” Cette alarme doit sonner. S’il n’y a jamais de culpabilité, c’est soit que je fais toujours la bonne chose pour mon enfant, ou à l’autre extrême, que je ne me pose jamais de questions et que j’aurais avantage à m’en poser. »

La psychoéducatrice Mélanie Bilodeau nomme quelques éléments de ce cocktail d’exigences concernant la communication parfaite, la gestion parfaite des horaires de chacun, la limitation du temps d’écran et l’alimentation parfaite. Elle y entrevoit autant de raisons pour les parents de douter de leurs actions : « Avant, si ton bébé avait été nourri et langé, parfait, tu étais un bon parent. Tu avais bien fait ce que tu avais à faire. Maintenant, c’est beaucoup plus difficile à mesurer. Si on voit qu’un enfant ne se sent pas bien, c’est beaucoup plus difficile de répondre à la question : ?Est-ce que j’ai bien fait les choses ?” que de répondre à la question objective ?Est-ce que j’ai pensé à nourrir mon enfant ?” »

Le psychothérapeute conjugal et familial André Perron croit que, de nos jours, les parents se donnent moins le droit à l’erreur lors de leurs précieux moments partagés : « C’est le drame de certains parents, surtout aujourd’hui avec la difficile conciliation travail-famille et le manque de temps ; et, en plus, les modèles sociaux qui proviennent des experts proposent des standards de ce que devrait être un bon parent. Ce n’est pas comme dans le temps où on avait 12 enfants. Maintenant, on en a un, deux ou trois, et il faut s’en occuper parfaitement. »

Lorsque l’envie de transgresser nous guette

La culpabilité ne semble toutefois pas particulièrement prendre pour victimes ceux qui se retrouvent trop nombreux dans leur petit logement, sans pouvoir s’offrir le luxe d’une alimentation bio ou des vêtements griffés et équitables.

Chez les parents que rencontre Mélanie Bilodeau, les mêmes difficultés sont souvent nommées, quelle que soit la classe sociale. Et parmi celles-ci, les conséquences des façons parfois maladroites par lesquelles les parents tentent de compenser le manque de temps ou leur fatigue figurent souvent en tête de liste : « Les parents mieux nantis vont se sentir coupables parce qu’ils travaillent énormément et sont moins présents. Parfois, ils vont ?acheter”, en quelque sorte, leurs enfants. Comme ils sont peu présents, il y a des nounous à la maison, et lorsqu’ils arrivent, ils ne mettent pas de cadre. Ils n’osent pas dire non et donnent tout ce que les enfants veulent. »

Une telle attitude laisse alors le champ libre aux enfants voulant tester un peu plus les limites, ce qui rend les moments partagés moins agréables que prévu. Mais, précise Chantal Martel, ce n’est pas tant l’insatisfaction devant l’attitude des enfants ou leurs reproches qui créent la culpabilité et l’impression, pour les parents, de ne plus se conformer à leurs valeurs ou à une image fidèle à celle qu’ils se font du « bon parent » : « La culpabilité m’amène à me demander si mes idéaux sont trop élevés, si j’ai un clash de valeurs personnelles et où j’ai transgressé. Cela m’amène à me demander ce qui se passe et ensuite de faire une action. Transgresser, cela pourrait être, par exemple, pour un parent qui se sent épuisé, de crier très fort sur son enfant, alors que c’est contre ses principes. »

Et nous, dans tout ça ?

Et bien sûr, lorsque la famille s’agrandit et que la pression monte, le soutien du conjoint peut jouer un rôle crucial. Pourtant, il est assez commun de reconnaître que, là aussi, la transformation des rôles entraîne son lot de culpabilité, surtout pour les femmes, remarque Mélanie Bilodeau : « Tout dépend comment l’autre partenaire va percevoir la situation. C’est sûr qu’il y a un peu de pression qui est mise sur l’autre partenaire, entre autres sur le plan sexuel, parce que ça prend un peu le bord, durant les premiers mois, voire les premières années, avec les changements hormonaux, l’adaptation à la parentalité et la charge mentale. Les femmes sont donc moins disposées à la sexualité et il peut y avoir une culpabilité, parce qu’elles sentent la pression du conjoint et qu’elles ne sont pas à la hauteur. »

Et la culpabilité des parents déborde donc facilement de la simple dyade parents-enfants. Daniela, une maman de la Maison à Petits Pas, reconnaît, par exemple, s’être également sentie coupable de ne pas parvenir à garder du temps pour elle afin de recharger ses batteries en bonne compagnie, comme tout un chacun semble le recommander, et revenir en force, plus patiente et reposée, auprès des siens. Comme beaucoup de mamans, elle s’est plutôt confrontée aux difficultés de se plier au rythme de ses proches et à un réseau qui s’étiole : « Je ne peux pas me diviser en deux : j’ai mon enfant toujours avec moi et, ce temps-là, je ne l’ai plus pour autre chose. J’essaie de garder les vrais amis que j’ai. Mais même avec eux, c’est difficile, parce que juste aller prendre un café, souvent, c’est avec lui aussi. Tu ne peux pas parler comme tu le faisais avant, parce que ton bébé te sollicite. C’est juste un autre type de vie. »

Passer de « capable » à « coupable »

Le fait de ne pas se sentir disponible et compétent en tout temps ouvre alors la porte aux sentiments coupables. Annie Paquet, agente de communication de la Maison à Petits Pas et éducatrice depuis plusieurs années auprès des enfants d’âge préscolaire, dit s’être sentie plus sûre d’elle et moins prompte à se faire des reproches la première fois que l’on a mis son bébé dans ses bras; mais elle a senti la culpabilité reprendre ses droits, lorsque ses enfant sont arrivés en âge d’entrer à l’école : « C’est à ce moment-là que j’ai eu l’effet de nouveauté. Alors, maintenant, parfois, je me sens coupable. »

D’autres facteurs représentent un terreau fertile aux remises en question, comme le fait de se sentir peu sûr de l’héritage de parentage reçu de ses parents. Mélanie Bilodeau l’observe chez plusieurs nouveaux papas, qui souvent souffrent du manque de modèle paternel à suivre. Elle explique qu’il en résulte parfois de cuisants sentiments de culpabilité et d’incompétence, lorsqu’ils voient leur enfant préférer se faire apaiser par leur mère. La pression que se mettent ou que se font imposer les mères, dans une logique d’empowerment, à assumer pleinement leur rôle d’expertes ne les épargne pas non plus, admet Mélanie Bilodeau, qui a intitulé son dernier livre Soyez l’expert de votre bébé.

On dirait ta mère !

Cette expertise, qui se construit au fur et à mesure, prend souvent sa matière première dans quelques exemples parentaux, mais également dans beaucoup de « plus jamais » de l’enfant que nous avons été, qui a parfois souffert en ne se sentant pas toujours compris. En conséquence, conclut Mélanie Bilodeau, plus les souffrances et les « plus jamais » s’accumulent, plus l’idéal risque d’être exigeant : « C’est très inconscient. Mais moi, je le vois sur le terrain et dans ma pratique. Lorsque nous commençons un peu à décortiquer la culpabilité chez les parents, on se rend compte que ce qui se passe, c’est qu’ils veulent faire mieux que leurs propres parents. Ils veulent répondre de l’idéal parental qu’ils n’ont pas eu, eux-mêmes, étant enfants. »

Presque tous les parents rencontrés à la Maison à Petits Pas finissent néanmoins par admettre que l’expérience concrète les rend plus compréhensifs et les porte à constater, sourire en coin, que les « Tu comprendras lorsque tu seras parent ! » avaient parfois du sens. En grattant un peu plus longtemps la surface, des thérapies auprès de parents en difficulté révèlent toutefois que plusieurs enfants, par leur éducation, ont déjà développé de grands réflexes de culpabilité, avant même de songer à devenir parents. Les thérapeutes en voient même trop souvent tenter de sauvegarder cette image parentale, qui fait partie d’eux-mêmes, en se disant qu’au fond leurs parents n’avaient pas tort de les traiter et de les juger plus durement.

Et les parents ainsi touchés dans leur estime et leur certitude de savoir mériter l’amour pensent qu’ils doivent redoubler d’efforts et craindre d’affirmer les limites qui pourraient les rendre indignes d’amour aux yeux de leurs enfants. Ce sont des raisons qui font qu’André Perron amène fréquemment les parents à se replonger dans le passé, lorsqu’ils ont trop tendance à se reprocher leurs erreurs récentes : « On peut aussi faire le lien avec le propre vécu du parent comme enfant. Comment a-t-il appris à se sentir coupable ? Comment cela se passait lorsqu’il était enfant ? Comment ses parents se comportaient-ils envers lui ? »

Faire le tri des conseils (et des conseillers)

Au cours des dernières années, il est de plus en plus courant de voir les deux conjoints vouloir mettre la main à la pâte, et les grands-parents, plus en forme que jamais, se mettre de la partie. D’autres réseaux peuvent aussi accompagner la parentalité. Mais tous ces yeux rivés sur soi rendent-ils plus fort ou plus fragile?

Les inévitables conseils

Mélanie Bilodeau observe que ce soutien suscite beaucoup de réflexions sur ce qui est préférable pour l’enfant, mais aussi pour la paix du ménage dont l’enfant a tant besoin : « Les deux parents proviennent de cultures différentes. Ils ont des vécus distincts. Ils sont construits différemment. Alors, souvent, on se retrouve avec des pratiques parentales diverses qui reflètent des visions de la parentalité très variées. Essayer de mettre cela ensemble et de faire front commun est un défi pour beaucoup de familles. »

Élargir son réseau peut alors contribuer à prendre un peu de recul. Naturellement, la chose n’est pas toujours simple, lorsque tous nos amis d’avant ne se reconnaissent plus dans notre vie. Toutefois, Mme Bilodeau, psychoéducatrice, insiste sur le fait que l’effort peut s’avérer fort salutaire. Elle ajoute même que de multiplier les réseaux offre plus de liberté, lorsqu’il s’agit de prendre ses distances face à un groupe qui ne correspond plus à ses valeurs : « Lorsqu’on s’entoure de gens qui nous ressemblent et que l’on ose parler, parce que c’est super important, il faut oser parler de notre culpabilité et de ce que l’on ressent, les gens peuvent nous aider à recadrer non seulement nos distorsions cognitives, mais aussi à faire ce ménage. Ils peuvent nous aider à nous demander si une forme d’aide est vraiment un soutien pour nous par des questions comme ?Que penses-tu de ce groupe de parents ?” ou ?Ce groupe de parents te rejoint-il réellement ?” »

Et toi, qu’en penses-tu ?

Lorsque la tension monte chez un autre parent, comment réagir pour ne pas faire partie du problème, éveiller les mécanismes de défense, l’envie de fuir ou, pire, aggraver la situation ? Voilà un des éléments auquel Annie Paquet a été confrontée durant sa vie d’éducatrice. Malgré l’expertise qu’elle possède, elle remarque que, sur ce point, les conseils sur l’écoute active qui lui ont fait tant de bien, comme jeune maman, ne se démodent pas : « Je pense que la pire phrase que j’ai entendue, lorsque je n’avais pas le goût de l’entendre, c’est ?Je ne veux pas te dire quoi faire, mais…” À ce moment-là, je me ferme et je ne veux même pas écouter cette personne. Mais tu peux parler et, peut-être, reformuler. Tu peux dire : ?Ce que je comprends c’est… que cette journée-là c’était difficile, que tu étais fatigué…, mais penses-tu que… ?” Et faire une rétroaction. Il ne faut pas dire ?Tu aurais dû faire cela et cela”, mais plutôt : ?Toi, qu’est-ce que tu en penses ? Comment t’es-tu senti ? Qu’est-ce que tu comptes faire la prochaine fois ? »

Son avis concorde d’ailleurs avec celui des autres experts qui affirment tous également que lorsqu’un parent se sent compris, ou seulement regardé avec bienveillance, il a tendance à trouver ses réponses lui-même ou à indiquer de quel genre d’aide ou de réassurance il a besoin. Quand Christian, un des parents d’À Petits Pas entend parler d’un cas où une maman s’est fait surprendre en crise aiguë de culpabilité, il évoque lui aussi l’importance de l’écoute pour d’autres raisons. À son avis, ce n’est pas tant pour la gestion des émotions des enfants que pour celle de leurs propres émotions que certains parents ont besoin d’être soutenus : « Je me dis : ?Est-ce que c’est sa façon de gérer son stress ?, ?Est-ce que c’est sa façon de faire descendre l’adrénaline ?, ?Est-ce qu’elle se dit qu’elle a seulement 30 minutes à s’accorder pour se calmer ?” Je pense que pour quelqu’un qui est moins dans cette situation, ce que l’on peut offrir, c’est surtout l’écoute. »

Des comparaisons qui ne consolent pas toujours

Les modèles ne manquent donc pas pour les parents qui cherchent d’autres comportements pour remplacer ceux qui éveillent leurs remords. Toutefois, toute comparaison n’est pas toujours bonne à vivre et peut même susciter de nouvelles raisons de se tracasser.

Christian l’a appris à ses dépens lorsque son regard porté sur les enfants des autres a fait perdre des plumes à son impression d’être un « papa cool », sur la glace, avec ses enfants : « Je me sentais fier de moi et de l’activité que je leur offrais, alors que leurs amis nous voyaient faire l’activité ensemble. Mais la semaine passée, je suis allée patiner à l’aréna. Là c’était plein de monde avec les parents. Et je me suis mis à me sentir coupable parce que mon enfant a 4 ans et demi et qu’il peut facilement passer pour avoir 5 ou 6 ans, parce qu’il est très grand. J’ai vu beaucoup d’enfants qui patinaient déjà très bien à 4 ans, et le mien, pas tant que ça. »

Mais, bonne nouvelle pour les papas comme Christian, il est possible qu’en observant ses enfants il découvre que ce qui est bon pour les petits sportifs du voisin ne l’est pas toujours pour les siens, du moins selon André Perron : « Il y a des enfants qui vont en manger, des activités, toute la fin de semaine. Mais il y a d’autres enfants que cela va épuiser. Ils ont besoin de se retrouver tout seuls avec eux-mêmes. En partie, pas tout le temps. Remplir leur agenda du samedi matin au dimanche soir, il y a peut-être une limite que certains ont pu franchir. L’enfant devient épuisé. »

Et même si la Maison à Petits Pas comprend une bibliothèque remplie de conseils, Annie Paquet encourage les parents à se fier davantage à ce que l’enfant exprime qu’à un suivi à la lettre d’un quelconque mode d’emploi. Mais elle admet qu’à partir du moment où un parent accepte de s’éloigner des solutions absolues, il devra apprendre à se faire confiance, tout en renonçant aux avantages, parfois valables, de ce qu’il ne choisit pas : « Ce n’est pas évident de s’extirper de la pression sociale soi-même : on ne se sent pas à la hauteur, parce que, justement, on se fait toujours proposer un plan A, un plan B et un plan C un peu partout. Alors, si j’en choisis un, je peux toujours me demander si un autre choix n’aurait pas été meilleur. »

Se pardonner, est-ce possible ?

La culpabilité parentale est directement reliée à la capacité de ressentir de l’empathie pour ses enfants, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Pourtant trop de remords et de questions peuvent en venir à paralyser l’action. Est-il possible alors d’aspirer aux avantages de l’un sans céder à un brouillage perpétuel de ses repères ? Tout est une question d’équilibre. Pour parvenir à cet équilibre, il faut toutefois encore se poser des questions…

Lorsque la culpabilité envahit le territoire

Tout en insistant sur ce lien entre la culpabilité et la saine empathie, Chantal Martel cite  de nombreuses études démontrant l’effet néfaste de la culpabilité sur l’épuisement parental : « Ce n’est donc pas tant l’émotion que la pensée que cela évoque. C’est la pression qui vient avec et le fait d’avoir des pensées qui ne sont pas nécessairement productives ou de ne pas avoir de stratégies d’adaptation qui seraient facilitantes », précise-t-elle.  

Et Mélanie Bilodeau poursuit sur cette lancée en disant que l’insatisfaction dans le travail et le reste de sa vie peut aussi avoir un effet boomerang sur la vie de famille : « Le stress que l’on va vivre au travail, le stress financier : tout cela fait partie de la culpabilité que l’on va vivre au quotidien, parce que cela peut nous amener à devenir plus instable, plus impatient avec nos enfants. Alors nous ne répondons pas à nos attentes de pratiques parentales. »

Ainsi débordés par un si grand nombre de préoccupations, les parents ne se donnent plus souvent le droit de dire « Non, je n’ai pas envie », quitte à gérer le petit moment de frustration enfantine qui s’en suivra. Pourtant, André Perron demeure convaincu qu’en s’oubliant dans l’équation, on ne reflète pas à son enfant une image très positive du rôle de parent, ce qui risque même de transmettre, à son tour, le gène de la culpabilité : « Ce n’est pas un modèle de croissance et d’autonomie, ou encore, de plaisir de vivre. C’est un modèle d’exigence, qui rappelle ?J’ai tout fait pour toi!”. J’ai vu ça. ?Regarde ce que tu me fais faire!”, ce qui signifie un peu ?Tu es responsable de ma mauvaise humeur ou de ma mauvaise santé.” »

Bye-bye mon idéal, bienvenue la réalité !

Pour le bien de l’enfant, Chantal Martel invite les parents à remettre en question l’accessibilité de leurs idéaux, et ce, même lorsqu’elle aborde des thèmes aussi intouchables que l’allaitement : « On sait que l’allaitement c’est bon. Mais je sais aussi que, ultimement, ce que je veux, c’est le bien de mon enfant. Et dans ce processus, l’autocompassion est également importante, pour se dire : ?J’ai essayé, ça n’a pas fonctionné. Il y a peut-être une adaptation à faire face à l’idéal que j’avais.” Mais encore une fois, c’est un processus interne de réflexion en lien avec l’émotion ressentie. »

Une autre attitude que tend à valoriser Annie Paquet est de rechercher les bons moments, ceux qui, sans frôler la perfection, ont permis de sentir le bonheur d’être parent, ceux qui marqueront encore leur histoire commune, lorsque la poussière aura eu le temps de retomber sur les maladresses : « L’important est que mon enfant soit heureux et qu’il en profite. Mon fils est unique, alors chaque moment que je vis avec lui est une première et une dernière fois. L’entrée à l’école, cela a été la seule fois. Il faut profiter de chaque moment. Qu’ils soient petits enfants, adolescents ou adultes, il y a des bouts qui sont difficiles, des bouts où tu vas te sentir coupable, mais, au final, on va apprendre et ce moment ne reviendra jamais. Alors il faut en profiter plutôt que de culpabiliser, parce que le temps file. »

Mélanie Bilodeau confirme que la prise de conscience de la satisfaction d’être parent autant que l’impression d’avoir fait le bon geste peuvent venir alimenter le sentiment de compétence parentale. Elle observe également que les enfants s’avèrent souvent de très bons guides, puisqu’ils vivent dans le moment présent et cherchent spontanément à s’accrocher à ce qui leur fait du bien : « C’est étonnant à quel point nos enfants vont dire rapidement : ?Tu es bonne maman !” Les enfants sont très rapides là-dessus. Ils ne mettront pas l’accent sur ce que l’on fait d’inadéquat… à moins que l’on soit constamment inadéquat. Mais habituellement, avec un parent qui est plutôt compétent, l’enfant va retenir les aspects positifs plutôt que le contraire. »

On s’excuse et on continue ?

Pour en arriver à ces belles réconciliations, les intervenants assurent que le temps consacré à s’excuser envers ses enfants n’est pas du temps perdu. Au contraire, ajoute Annie Paquet, il aide les enfants à comprendre que même les modèles qu’ils aiment le plus au monde peuvent se remettre en question : « Lorsque les enfants sont en âge de comprendre, cela peut aider d’entendre ?Tu vois, tantôt, maman était en colère. Je m’excuse, j’ai peut-être crié fort”. Ça va aider l’enfant à comprendre que maman aussi a des émotions. Donc, ça arrive de parler fort et de s’énerver, mais l’adulte s’excuse et c’est lui le modèle. L’enfant aussi, par la suite, va être capable de reconnaître ses émotions et de se recentrer en disant ?Je ne sais pas pourquoi j’ai agi comme cela”. »

Ce conseil d’Annie Paquet soulève la grande et incontournable question : « Quand mon enfant deviendra-t-il en âge de comprendre ? » Plusieurs intervenants répondent à cela qu’avant même l’âge de la parole, les enfants sont capables d’en comprendre beaucoup, à travers les regards et les fluctuations de la voix. Pourtant, André Perron ne se gêne pas pour suggérer d’autres détours que la voie royale des mots, avec les plus petits, pour en arriver à une réconciliation : « Je peux m’asseoir et faire un dessin avec lui. À ce moment-là, je suis à son niveau. Il faut accepter de perdre du temps, d’être à côté de lui et lui donner une petite tape dans le dos, sans raison précise, de le regarder et de lui faire un clin d’œil. »

Chantal Martel soutient toutefois que les excuses et la réconciliation ne devraient pas viser seulement de se donner l’occasion de passer à autre chose le plus vite possible. Il serait même dommage de rater ce moment de prise de conscience. Pour le parent aussi il est important de mettre des mots sur son inconfort : « Si je fais une erreur qui éveille ma culpabilité, si je me dis ?C’est correct, on ne culpabilisera pas”, je dois quand même rester disponible à l’enfant. Est-ce que les besoins de mon enfant sont comblés ? Si je me rends compte qu’il aurait eu besoin de plus de sensibilité de ma part, je peux faire réparation. Je peux voir si je devrais aller chercher de l’aide ou prendre un moment de répit. »

 

Pour les petits et les grands apprenants

Et s’il n’est ainsi jamais trop tôt pour s’excuser, Mélodie Bilodeau croit qu’il n’est jamais trop tard non plus. Des livres savants répètent depuis belle lurette que « Tout se joue avant 5 ans » ; elle n’en garde pas moins la conviction que ce sont les erreurs jamais admises qui créent le plus de dommages : « Un parent peut à 35 ou à 40 ans dire à son enfant : ?Oui, cette situation, tu l’as encore sur le cœur. Écoute, je suis désolé. C’est vrai que ce jour-là, je n’ai pas été juste avec toi. Je m’en excuse.” Je pense que même à 40 ans ça vient réparer quelque chose. »

Pour reconnaître et mieux accepter que les parents ne sont pas parfaits, Mélanie Bilodeau leur rappelle que l’on ne doit pas se sentir coupable d’apprendre. Elle reconnaît toutefois que c’est souvent plus tard, lorsque les parents prennent conscience d’avoir acquis des réflexes qui leur semblent plus adaptés, rendus au deuxième ou au troisième enfant, par exemple, qu’ils se mettent à regretter leurs maladresses d’avant.

Annie Paquet rétorque cependant à cela qu’il faudrait éviter de remuer le couteau dans la plaie pour chaque bon coup que l’on n’a pas su faire avant, puisque adapter ses valeurs et ses connaissances à la particularité de chaque situation reste le défi de toute une vie : « Ce n’est pas parce que c’est différent que notre première façon de faire était nécessairement une erreur. À ce moment-là, c’était ce que l’on croyait être bon. Ce qu’agir différemment aurait pu donner, on ne sait pas. Est-ce que c’était vraiment une erreur ? C’est un apprentissage en tant que parents. Si tu as un enfant de trois ans, comme parent, tu as trois ans d’expérience aussi. Tu n’en as pas 20. Comme on se disait : il faut se donner le droit à l’erreur. Et si chaque enfant est unique, chaque parent est unique aussi. Chaque situation et même chaque journée est unique aussi. »

 

De succès en succès, on déculpabilise

Daniela a pu voir l’effet bénéfique d’une simple respiration sur la gestion de ses angoisses. Elle a alors appris quelque chose d’encore plus fondamental : qu’elle était capable de trouver des moyens de maintenir la communication, même dans les moments difficiles. Car si, d’un côté, le fait de se sentir moins compétent multiplie les moments de culpabilité, il semblerait que de constater que l’on a bien décodé son enfant permettrait aux parents de revenir plus rapidement à un état paisible et compatissant : « Ce sont des mécanismes que tu apprends avec le temps. C’est sûr que, la première fois, quand je l’ai vu faire une crise devant un million de personnes, je ne savais pas comment réagir. J’étais bouleversée. Moi, ma technique, maintenant, c’est de le regarder dans les yeux. Je le regarde vraiment et je lui montre que je suis là. Je lui parle et je lui dis : ?Tu vis un moment difficile. Je te comprends. Je suis là”. Et parfois, c’est même une belle émotion. Parce que lorsque les enfants sont tout petits, leur corps ne sait pas trop comment parler, alors ils s’expriment comme ils peuvent. »

Et Daniela n’est pas la seule à avoir essuyé plus d’une larme avant de se convaincre d’avoir fait les bons choix. Caroline Cadieux, malgré son expérience d’éducatrice spécialisée à la Maison à Petits Pas, est elle aussi passée par des moments de doute ; mais elle constate que d’avoir su laisser place à l’expression de chacun a aidé à maintenir la qualité de la relation avec ses enfants, maintenant devenus grands : « Et si jamais ma décision n’était pas bonne, je pesais le pour et le contre. Selon l’âge, on essaie de discuter. Je savais que je prenais la bonne décision et que, plus tard, cela aurait des répercussions. Maintenant, j’ai une super belle relation avec mes enfants. On continue à s’expliquer. Oui, c’est vrai que je me suis sentie coupable souvent de dire non, mais au bout du compte, ça paye. »

D’autres parents remarquent aussi que, grâce au dialogue et en observant les conséquences des consignes, dans les minutes ou les heures qui suivent, leurs enfants admettent parfois, par eux-mêmes, que leurs parents n’ont pas toujours tort. Donc, dans la plupart des cas, il vaut encore la peine d’espérer que les parents n’auront pas besoin d’attendre que leurs enfants deviennent à leur tour parents avant de comprendre que, dans les circonstances, nous avons cherché à rester pour eux les meilleurs parents du monde.