La fortune de ma tante

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Date de publication

mercredi 01 février, 2006

Ressource

Marco Alméida

Lorsque j’étais enfant, j’allais chaque après-midi voir ma tante Antonia qui était bien installée dans sa chaise berçante à la porte de sa maison, munie de ses lunettes et de ses revues Sélection du Reader’s Digest.

À cette époque, je devais avoir environ sept ans, j’aimais passer du temps avec elle. Je me souviens de son doux regard qui se posait sur moi, à travers ses lunettes, lorsqu’elle me demandait de m’asseoir à ses côtés, afin de me lire quelques-unes des histoires de sa collection. 

Elle collectionnait tous les numéros, sans en perdre un. Le format, les lettres et les couleurs de cette revue me plaisaient. J’apprenais à les placer en ordre, ce qui fut pour moi un bon exercice de mathématiques. J’aimais bien faire du découpage quand je trouvais des photos de publicité de voitures dans les vieilles revues de mes parents. Mais pas question de toucher aux magazines Sélection Reader’s Digest de ma tante Antonia. 

Un jour, je voulus savoir pourquoi elle tenait tant à ces revues-là. Sa réponse fut catégorique : il était important de prendre soin de la culture, sans compter que ces revues allaient valoir une fortune plus tard. À partir de ce moment, j’ai accompagné ma tante dans ses lectures vespérales, en espérant devenir un homme instruit. 

Ma tante Antonia partit au ciel et ses revues restèrent sur terre. Elle ne saura jamais que sa précieuse collection ne permit à personne de faire la fortune qu’elle imaginait; par contre, elle m’a laissé un magnifique héritage : le goût de la lecture. 

Un peu à cause d’elle, sans doute, j’ai toujours rêvé d’avoir une grande bibliothèque chez moi et à partir du moment où j’ai eu la chance de travailler, je me suis mis à acheter des livres avec l’espoir que mes enfants aient envie de les lire un jour. 

Tout petit, mon fils Ismaël aimait qu’on lui raconte des histoires, activité qu’il faisait avec sa mère et qu’il répétait avec moi à sa manière : il montrait et interprétait les dessins qu’il voyait dans les livres. Aujourd’hui, la lecture est son activité préférée. Tandis que sa petite sœur grandit avec le théâtre, Ismaël voyage en lisant. Dans sa chambre, au salon, dans l’auto ou dans la cuisine, même dans la salle de bain, avec du bruit ou dans le silence, il lit tout le temps. 

C’est grâce à cette bibliothèque qu’Ismaël a fait la découverte de Jules Verne. Le jour où il m’a manifesté son intérêt pour le livre Vingt Mille Lieux sous les mers (la version intégrale), j’ai eu des doutes à cause de son âge et de sa capacité de compréhension. Quelques jours plus tard, pendant un repas, la profondeur de ses commentaires m’a toutefois surpris. Nous parlions du pétrole et de la pollution de notre dépendance par rapport au pétrole à cause de notre usage de l’automobile ainsi que de notre indifférence relativement à l’environnement. Ismaël est intervenu en disant que pour le capitaine Némo (héros du livre de Jules Verne), le pétrole n’était pas nécessaire. Il était capable de vivre sur une île et de s’alimenter de manière naturelle. Il pouvait vivre en voyageant au fond des mers avec le Nautilus et il n’avait pas besoin de faire la guerre pour découvrir et conquérir de nouveaux lieux...  

« C’est vrai », pensais-je, tandis que l’envie me prenait de relire le livre et de faire une autre fois le voyage que mon fils était en train de faire. J’avais envie de rencontrer à nouveau le capitaine Némo et de monter à bord du Nautilus pour voyager avec lui.  

Pour le moment, je reste ici, sur l’île de Montréal. Je profite de la nouvelle Grande Bibliothèque, avec le souvenir de ma tante Antonia et de sa fameuse collection des revues, en compagnie d’Ismaël qui m’invite à lire la vie avec des yeux d’enfant. Merci mon fils.