L’adoption : ces enfants du désir

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Date de publication

vendredi 01 octobre, 2004

Lorsque l’on commença à prôner ouvertement l’adoption comme le droit de l’enfant à une famille aimante, disponible et compétente, on fut d’abord porté à considérer l’adoption comme un acte d’une bonté indiscutable. Et justement, les particularités d’un enfant que l’on adopte et les conditions concrètes dans lesquelles se réalisait l’adoption étaient peu discutées. Lorsque le parent se retrouvait seul entre l’évaluateur des services sociaux et son ambition d’être parfait afin de pallier toutes les lacunes de son nouvel enfant, les épreuves les plus naturelles pouvaient davantage apparaître comme des échecs.

 

Aujourd’hui, les organismes qui servent d’intermédiaires dans le processus d’adoption se sont multipliés et ont gagné en efficacité. Le Québec est non seulement la province où l’on adopte le plus, mais un des endroits où l’on adopte le plus d’enfants au monde, proportionnellement au nombre de ses habitants. Différents regroupements de parents adoptants y assurent aussi une transition plus douce entre la réalité et l’enfant idéal que les parents espéraient rencontrer sur le pas de la porte de l’orphelinat. On y admet plus aisément que l’adoption, si elle constitue une aventure extraordinaire, n’en demeure pas moins un défi de taille pour le couple ou encore la famille qui accepte ce ou ces nouveau(x) enfant(s).

 

Adoption 101

Pour comprendre le fonctionnement de l’adoption québécoise, il faut savoir que si un enfant, qu’il soit de cette province ou d’ailleurs, perd ses parents, que ceux-ci meurent, sont déclarés inaptes à éduquer leur enfant ou encore confient eux-mêmes leur enfant en adoption, cet enfant pourra être pris en charge au Québec dans le cadre d’une adoption intrafamiliale ou extrafamiliale. Il est question d’adoption intrafamiliale lorsqu’un adulte adopte officiellement un enfant membre de la famille immédiate (neveu ou petit-fils, par exemple) ou l’enfant d’un conjoint. Le cas de l’adoption intrafamiliale est donc le seul où l’adoptant et l’adopté seront en relation avant que ne s’amorcent les démarches officielles d’adoption.

 

Pour les autres cas, la première étape pour les parents sera de choisir entre une adoption nationale ou internationale. Les parents devront ensuite rencontrer des travailleurs sociaux ou des psychologues québécois qui les évalueront et les aideront à clarifier leurs attentes et leurs limites en tant que futurs parents adoptants.

 

L’adoption internationale

Comme l’adoption nationale ne concerne que le Québec, même un enfant canadien provenant d’une autre province dépendra du système d’adoption internationale. Vu le soutien apporté aux familles d’ici et le peu d’enfants disponibles à l’adoption en terre québécoise, une majorité de parents se tournent vers l’adoption internationale. Ces parents espèrent ainsi avoir la chance d’adopter, dans un délai plus rapide, un ou des enfant(s) plus jeune(s) que l’on suppose définitivement abandonné(s) par les parents biologiques.

 

Mais cette décision d’aller chercher un enfant ailleurs amènera le parent à effectuer d’autres choix. Il devra premièrement orienter ses démarches vers un pays précis parmi ceux qui ont des ententes d’adoption avec le Québec, ce qui exclut à peu près tous les pays du nord de l’Afrique et d’Afrique centrale. Le parent devra aussi se limiter aux pays qui acceptent son profil parental. Les critères de sélection des différents pays peuvent concerner des points comme l’âge des aspirants parents, leur statut matrimonial et d’autres exigences comme la confirmation de l’état d’infertilité. Ensuite, le parent pourra se laisser guider par son intérêt pour un pays en particulier, ce qu’il a pu entendre sur l’âge et l’état de santé des enfants disponibles dans ce pays ou encore le coût des démarches (en moyenne 20 000 $, mais cela peut varier beaucoup d’un pays à un autre).

 

Les parents doivent également tenir compte du type de services qu’offrent les organismes intermédiaires entre le Québec et les orphelinats de ces pays ainsi que de la confiance qu’ils parviennent à établir avec ces organismes. Le degré de supervision offert par un organisme particulier peut constituer l’un des éléments déterminants de ce choix. Certains parents plus hasardeux penseront même à fonctionner sans l’intermédiaire de ces organismes d’accompagnement ou avec l’aide d’un organisme privé. Une telle initiative risque cependant fort de se butter à un refus de la part du Secrétariat à l’adoption internationale si elle ne respecte pas toutes les règles de l’immigration et de l’adoption nationale et toutes les normes de sélection du pays d’origine de l’enfant.

 

Le parent qui opte pour l’adoption internationale doit également savoir qu’une institutionnalisation, surtout si elle est prolongée, risque de créer des retards moteurs, psychologiques et sociaux. Ce qui semblait causé par un simple manque de stimulation peut aussi cacher un retard plus grave.

 

L’adoption nationale

Les parents qui choisiront d’adopter un enfant né ici se tourneront alors plutôt vers le système auquel la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) a donné l’étrange nom de banque mixte. Cette liste d’enfants regroupe tous ceux que la DPJ a identifiés comme étant à haut risque d’abandon. Les aspirants parents prennent alors l’enfant en foyer d’accueil durant au moins six mois. Ensuite, si le pronostic d’incompétence ou de négligence se confirme, la famille d’accueil pourra alors adopter l’enfant officiellement.

 

Un parent qui adopte un enfant d’ici peut s’attendre à trouver plus facilement des informations sur les événements passés ou encore les problèmes congénitaux qui risquent d’affecter ce dernier. Le parent peut également penser que ce type d’adoption permettra d’éviter que l’épreuve du racisme ne s’ajoute à celle de l’arrachement à la famille biologique. De plus, le recours à la banque mixte s’avère beaucoup moins coûteux que l’adoption internationale, où l’on doit penser aux coûts de l’évaluation, du voyage, de l’organisme intermédiaire et de l’orphelinat.

 

La situation de la banque mixte confronte cependant les parents adoptants à des situations qu’ils préféreraient souvent éviter, comme le fait que dans environ 20 % des cas, la famille biologique parviendra à récupérer son enfant. Certains parents souffrent aussi du fait de se sentir évalués par les services sociaux et de devoir respecter les droits de visites des parents biologiques, qui ne se déroulent pas toujours comme ils le voudraient.

 

Même une fois que l’adoption a été prononcée officiellement et que cessent ces droits de visites, le fait que les parents biologiques et adoptants aient dû se fréquenter ne laisse pas nécessairement la même distance psychologique entre eux que dans l’adoption internationale.

 

L’adoption plénière, la seule et l’unique

Cependant, à la suite d’un jugement d’adoption plénière, le seul mode d’adoption reconnu par les autorités québécoises, tous les droits et devoirs de garde et de filiation se trouvent rompus avec le parent biologique. Contrairement à ce qui se passe dans bien d’autres pays industrialisés d’Europe ou encore dans le tiers monde, l’adoption plénière désigne la nouvelle famille comme étant la seule à avoir des liens de parenté avec l’enfant adopté. Cela exclut donc non seulement les parents biologiques mais également la fratrie (si elle n’est pas adoptée en même temps), les grands-parents et les membres de la famille biologique étendue.

 

L’enfant ainsi adopté se fait donc émettre un nouveau certificat de naissance avec, si les parents le désirent, un nouveau nom. Les enfants ne pourront communiquer avec leurs parents biologiques sans l’autorisation de leurs nouveaux parents avant d’atteindre l’âge de 14 ans, à moins, bien sûr, que les parents biologiques y consentent. Les parents biologiques, quant à eux, devront attendre que l’enfant atteigne 18 ans avant de tenter de le rejoindre. Il peut arriver néanmoins que parents biologiques et adoptants se rencontrent avant cette échéance ou encore échangent librement des lettres ou des photos, mais ce type d’initiatives reste plutôt marginal.

 

L’évolution des pratiques

Le domaine de l’adoption a cependant beaucoup changé sur d’autres points. Le Québec ainsi que quelques pays ouvrent la porte aux célibataires, à qui l’on confie des enfants parfois un peu plus âgés. Le Québec permet aussi l’adoption par des couples homosexuels, quoique les critères établis par les pays étrangers ne leur permettent pas vraiment, pour le moment, d’adopter à l’international.

 

Les repères qui incitaient autrefois les parents à choisir l’adoption nationale ou internationale ne sont plus nécessairement valides non plus. Premièrement, au niveau international, en accord avec la convention de La Haye, la communauté internationale cherche avant tout à faciliter la prise en charge des enfants dans leur propre pays. En conséquence, on observe que l’âge des enfants offerts en adoption internationale a tendance à augmenter.

 

Inversement, la DPJ manifeste de plus en plus ouvertement sa tendance à considérer les éventuels placements comme des projets de vie. L’adoption nationale propose donc davantage d’enfants plus jeunes qu’il y a quelques années. Il se peut même que, vu la diversité culturelle grandissante de la communauté québécoise, ceux qui optent pour l’adoption nationale se retrouvent quand même avec en enfant à la peau noire ou aux yeux bridés.

 

Les parents adoptants, quant à eux, exigent de plus en plus de précisions sur l’état de santé et les antécédents biologiques de leurs enfants, alors que les données sur la santé des enfants, fournies par les différents pays, le sont parfois en des termes qui laissent les médecins d’ici perplexes. Ils veulent également savoir quels problèmes risquent de se développer au fil des années et ceux qui sont caractéristiques des différentes régions du monde.

 

Par ailleurs, ceux qui adoptent au Québec découvrent avec étonnement qu’il est souvent difficile d’obtenir des informations sur les antécédents biologiques du père. Et, bien qu’il soit encore plus difficile de retracer les parents biologiques dans le processus d’immigration internationale, de plus en plus de familles adoptantes découvrent que les parents biologiques de leurs enfants vivent et aimeraient vraiment savoir ce qu’il advient de ceux à qui ils ont donné naissance.

 

Adopter en connaissance de cause

Malgré cette prise en compte de leurs attentes, les parents doivent accepter le principe selon lequel le but de l’adoption est avant tout de répondre au besoin et même au droit de l’enfant d’avoir une famille, et non l’inverse. Par conséquent, les parents ne peuvent pas simplement réclamer leur droit d’avoir des enfants en santé, ils doivent prouver, par l’intermédiaire des psychologues ou des travailleurs sociaux, leur compétence à assurer l’encadrement familial nécessaire à leurs enfants. Les services sociaux ont donc avantage à tout faire pour s’assurer que ce placement soit, pour ces enfants d’ici ou d’ailleurs, le dernier de leur existence. Les parents sont rencontrés séparément, ensemble, puis à leur foyer pour y discuter de différents aspects de leur expérience personnelle, familiale et même sexuelle. On invite même parfois les parents à renoncer aux méthodes de fécondation assistée et ainsi à faire leur deuil de leur propre enfant biologique.

 

Certains parents éprouvent cependant un sentiment d’injustice devant ce processus d’évaluation, alors que d’autres deviennent parents avant même de le désirer. Domenica Labasi, travailleuse sociale au CLSC Saint-Louis du Parc, qui offre un service d’accompagnement de pré- ou de postadoption, leur propose alors plutôt de considérer l’acte d’adoption comme une collaboration entre celui qui donne la vie et celui qui éduque. Elle discute aussi avec les parents des problématiques plus délicates pour l’enfant adopté que sont le questionnement sur son identité, son désir de retrouver ses parents ou son sentiment de rejet de sa famille biologique ainsi que les préjugés de son entourage. Selon elle, le parent adoptant doit avoir des compétences remarquables pour aider l’enfant à traverser tout cela.

 

Kathleen Neault de l’Association de parents pour l’adoption québécoise prévient aussi les parents que ces enfants suivent rarement un parcours professionnel et universitaire comparable à celui de leurs parents d’adoption. En général, on reconnaît aussi que certains enfants, habitués de lutter pour leur survie, développent des mécanismes de réaction d’urgence pour parvenir à pallier de graves carences au niveau de l’attachement. Ces enfants peuvent se montrer hostiles ou craintifs ou encore se montrer perfectionnistes dans le but de se faire aimer à tout prix. Dans les cas extrêmes, il peut même arriver que certains enfants tolèrent peu ou pas la présence d’un de leurs parents. Malgré les difficultés, les différents intervenants continuent de prévenir les futurs parents que le simple désir de réaliser une bonne action n’est pas une motivation suffisante à l’adoption. Le désir d’avoir des enfants doit être nettement plus profondément ancré en soi pour parvenir à surmonter toutes ces difficultés.

 

Conclusion Les différents intervenants s’entendent cependant sur le fait que ces enfants possèdent habituellement des facultés d’adaptation étonnantes qui leur ont permis de survivre jusqu’ici et rattrapent habituellement très rapidement la plupart des retards. On parle d’ailleurs souvent, en placement d’enfant, de la faculté de résilience qui a permis à certains enfants de survivre et ensuite de retrouver leur équilibre à la suite d’expériences vraiment impressionnantes pour leur âge.

 

Ces organismes de soutien invitent d’ailleurs les parents à expliquer aux enfants dès que possible d’où ils viennent plutôt que de placer le secret de leur origine au rang des tabous. À travers ce processus, l’enfant aussi trouvera de meilleurs moyens d’apprivoiser son passé, car il peut être tentant pour l’enfant de s’imaginer une famille idéale qui l’attend, quelque part, et à laquelle il aurait été ravi. Et, comme le précise Hélène Duchesneau, psychoéducatrice au CLSC Saint-Louis du Parc et mère de deux enfants adoptés, « L’adoption, c’est jamais fini, c’est un défi pour la vie. On s’y investit un peu plus chaque jour ! »

 

Voici quelques ouvrages disponibles en bibliothèque qui pourront vous permettre d’approfondir votre réflexion :

CHICOINE, Jean-François, GERMAIN, Patricia et Johanne LEMIEUX. L’Enfant adopté dans le monde (en quinze chapitres et demi), Montréal, éd. de l’Hôpital Sainte-Justine, 2003 : L’incontournable de l’adoption internationale au Québec; santé, psychologie, conseils pratiques, tout y passe…

 

ELDRIDGE, Sherrie. Parents de cœur : pour comprendre l’enfant adopté, trad. de l’américain par Anouk Journo-Durey, Paris, éd. Albin Michel, coll. « Questions de Parents », 2003 : Cette collection produit des ouvrages de psychologie grand public touchants et intelligents, celui-ci ne fait pas exception.

 

OUELLETTE, Françoise-Romaine. L’Adoption : les acteurs et les enjeux autour de l’enfant : Cet ouvrage, plus théorique, permet avant tout au lecteur de comprendre et de réfléchir sur la façon d’adopter au Québec aujourd’hui.

 

PRIMEAU, Viviane et Marie RIENDEAU. Adoption québécoise et internationale, Montréal, éd. Wilson et Lafleur, 1997 : Cet ouvrage, composé par deux avocates des centres jeunesse, s’attarde avant tout aux procédures légales de l’adoption.

 

Comme le domaine de l’adoption évolue très vite, il est néanmoins préférable de compléter ces informations avec ces brochures, disponibles au Secrétariat international de l’adoption : Devenir parent et Informations utiles à l’adoptant. Infos disponibles au www.adoption.gouv.ca

 

Remerciements :

Madame Kathleen Neault, de l’Association de parents pour l’adoption québécoise, Hélène Duschesneau et Domenica Labasi du CLSC Saint-Louis du Parc, madame Bellefeuille, responsable du Secrétariat international à l’adoption et Françoise-Romaine Ouellette, chercheure à l’Institut national de la Recherche scientifique