La bibliothérapie, lire les émotions entre les lignes

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Date de publication

mardi 12 décembre, 2017

On encourage les parents à initier leurs enfants à la lecture. On peut tous rêver du tendre moment où toute la petite famille sera blottie à lire un bel album coloré. Mais devant la réalité de l’aîné qui a la bougeotte, du plus jeune qui veut lire vingt fois la même histoire ou de la petite qui se prend pour une princesse, le parent peut être tenté de faire un détour par le rayon des livres sur le coaching parental de la bibliothèque avant de se rendre à celui des livres jeunesse...

Plusieurs persisteront néanmoins, en espérant que leurs enfants en ressortent mieux outillés pour la vie. Mais que peut-on attendre, au juste, du livre? Peut-on vraiment parler des vertus thérapeutiques ou même préventives du livre pour enfant?

 

 

Des mots qui font du bien 

 

Au Québec, la promotion de la lecture chez les enfants en bas âge vise souvent à prévenir les troubles de langage ou d’apprentissage[1]. Il n’en reste pas moins que de nombreux psychologues, dont Nathalie Couture, auteure de plusieurs livres pratiques pour enfants orientés vers des problématiques ciblées (anxiété, timidité, séparation parentale), considèrent que le livre et la littérature en général peuvent aussi donner un bon coup de pouce aux enfants en ce qui a trait à la gestion de leurs émotions et même de leurs rapports sociaux. Selon madame Couture, « Le fait d’être en contact très tôt avec les livres peut aider sur le plan du développement du langage de l’enfant, parce que tous ces petits livres parlent aussi des émotions, ils aident à apprendre à se connaître. Il y a des livres comme Monsieur colère, Monsieur ci, Monsieur ça. Cela les aide déjà à comprendre des concepts sur le plan de l’estime de soi. Et on sait déjà que le développement du langage, sur le plan cognitif, aide à se connaître, à pouvoir s’exprimer clairement. Plus un enfant va avoir des capacités langagières, plus il va être capable d’introspection, de se projeter dans l’avenir, de faire des déductions et des inférences. Alors il est certain que cela peut aider dans son développement général. Si on ressent des émotions et que l’on n’est pas capable de mettre des mots dessus, on reste pris avec. Il y a des enfants qui arrivent à dire : “Je suis en colère par ce que tel ami m’a pris mon jouet.” On peut alors lui montrer plus rapidement à aller voir l’ami pour lui dire “C’est mon jouet, j’aimerais que tu me le redonnes.” »

 

Et même si, à la base, l’enfant doit s’initier à plusieurs mots inconnus, les experts qui travaillent avec les enfants d’âge préscolaire et les préadolescents, qui ont pris l’habitude d’ouvrir des livres durant leurs séances, sentent que ces enfants sont souvent plus à l’écoute du rythme, de la poésie des mots. Ils accèdent aussi plus facilement aux ressources imaginaires que les autres enfants qui perdent cette capacité vers 7 ans, lorsqu’ils maîtrisent mieux des concepts plus abstraits : « Lui, le monde magique, il y croit ou il veut y croire. Donc, on peut d’autant plus s’en servir pour l’amener à cheminer. Les adultes vont être plus réticents. Ils vont dire “Ça ne se peut pas”. Leurs côtés concret et rationnel vont parfois prendre le dessus et il devient impossible de les amener dans ce monde qui peut s’avérer très utile pour cheminer. Il faut donc faire preuve de flexibilité et lâcher-prise. Il suffit de se laisser aller pour trouver des solutions dans le but de changer. L’enfant va le faire plus facilement que l’adulte. Les enfants sont encore en développement, en construction, donc, ils n’ont pas encore construit leurs mécanismes de défense. », explique Sophie Leroux, psychologue au CHU Saint-Justine, dont les livres, combinant contes et conseils pratiques, s’adressent à la fois aux enfants et aux adultes.

 

Pourtant, Katy Roy, qui œuvre en bibliothérapie depuis plusieurs années et qui prépare un doctorat sur le sujet, a souvent vu des parents faire des prises de conscience au sujet de leur propre personne, alors qu’ils lisaient ces livres pour aider leurs enfants : « Si l’enfant fait face à une situation difficile, le parent essaie de l’accompagner là-dedans, et s’il se sent incompétent, ou que cela fait ressortir chez le parent certaines choses de son propre vécu, à ce moment, l’utilisation de la bibliothérapie ou d’une histoire va permettre au parent lui-même, en lisant le livre, de faire un bout de chemin sur quelque chose qu’il n’a pas réglé et en se faisant ses propres réflexions. » Nathalie Couture assure même que passer par le symbole, au bon moment, peut parfois être un déclencheur pour certains parents qui avaient déjà entrepris des thérapies et exploré ces concepts : « Ils me disent “On sait déjà ce qu’est l’anxiété, mais la manière dont c’est écrit, c’est venu me chercher” ».

 

Sophie Leroux considère aussi qu’en plus de faire du bien au parent et à l’enfant, le passage par l’allégorie aide à prendre soin de la relation qui les unit, alors qu’ils explorent des problématiques qu’ils doivent affronter ensemble : « Quand on est dans une situation problématique, la dynamique est affectée. Quand le parent fait la morale à l’enfant en lui reprochant des choses ou en le réprimandant, on est toujours en train de jouer dans la relation. Cela peut devenir un cercle vicieux et on ne sait pas trop comment en sortir. On n’arrive plus à faire ressortir les aspects plus positifs de l’enfant. Quand on passe par un médium comme le livre, cela peut rester un bon moment entre le parent et l’enfant. On partage une histoire. Partir de l’histoire peut être un élément moins menaçant, moins confrontant. »

 

De plus, tous ces experts sont d’avis que tourner ainsi les pages permet non seulement de découvrir une belle histoire, mais aussi de se tourner vers soi-même, par delà ce que l’on y cherchait au départ. Ainsi, croit Sarah Bédard-Goulet, qui a déjà achevé une thèse sur les bienfaits de la bibliothérapie et qui a utilisé cette approche auprès de plusieurs populations, la manière dont chacun, y compris le parent, réagit à ce qu’il lit, aux personnages auxquels il s’attache et aux questions qu’il pose en révèle beaucoup sur le rôle de lecteur et d'auditeur de chacun d'entre nous : « Le livre va présenter une situation qui est problématique pour un personnage, mais qu'une personne n'a jamais perçu comme tel, car il n'a pas vécu cela auparavant. Cela permet de nommer quelque chose qui était passé complètement inaperçu, ou un personnage qui vit une situation, et l’enfant dit “C’est comme…’’.»

 

D’après la majorité des spécialistes rencontrées, cette identification est d’autant plus facile pour l’enfant qu’elle entre en scène par un personnage fabuleux, qu’elle peut se faire graduellement, à son rythme, comme une proposition que l’enfant peut accepter ou non, ce qui éveille moins les mécanismes de défense. Et ce monde fabuleux, où l’enfant se sent plus à l’aise que son parent, peut même l’amener à initier son parent à ce langage qui est davantage le sien. Katy Roy explique : « Je pense que le travail est beaucoup plus efficace s’il peut être fait de manière conjointe avec les deux : les enfants et les parents. Parce qu’à ce moment-là, le parent aussi peut apprendre ou réapprendre à parler ce langage, et puis communiquer sous le mode de l’imaginaire et du symbolique avec son enfant. L’enfant répond très clairement et si on est un peu pédagogue, on parvient à parler ce langage et on comprend très facilement ce que l’enfant veut dire, à travers un personnage ou dans un conte, d’une manière imaginaire. »

 

Selon elle, le livre peut alors contribuer concrètement aux actions que posent les parents, les professeurs ou les enfants eux-mêmes, pour aider ces derniers à faire un bout de chemin, en interpellant plus habilement leurs propres forces : « Cela ne veut pas dire que je mets de côté tout ce qu’on a fait pour cadrer la pratique thérapeutique. Au contraire, je trouve que c’est une bonne chose, mais il ne faudrait pas réserver un type de travail que l’on peut faire soi-même pour avancer dans son développement en remettant le pouvoir de tout cela entre les mains de psychologues, parce qu’on est capable nous-mêmes d’avancer et d’aller chercher des outils selon ce que l’on a envie de développer, ce que l’on a envie de changer. »

 

 

L’art de créer une nouvelle science

 

En revanche, Sophie Leroux insiste sur le fait que la famille doit aussi avoir la sagesse de reconnaître la limite de ce qu’un livre peut apporter, en cadre familial, et ce, surtout si l’enfant manifeste une détresse qui commence à nuire à son fonctionnement familial ou scolaire, même avec les meilleures intentions du monde et avec des livres pratiques comme les siens : « Des parents pourraient dire qu’ils ont lu le livre sur l’anxiété et se dire “Donc, voilà : il a un trouble anxieux”. C'est pratique pour faire un dépistage, mais ce qu’il faut comprendre, c’est que parfois, ça peut être plus complexe que cela. Il peut y avoir une comorbidité, c’est-à-dire un autre trouble en même temps qui, lui, demande une intervention plus spécialisée. Et selon la problématique, c’est parfois nécessaire de voir un spécialiste. » Un professionnel est aussi mieux placé, selon elle, pour évaluer si la manière de s’identifier à l’histoire est adéquate, selon le niveau de développement : « Il y a les faits, bien sûr, mais il n’en reste pas moins qu’un enfant qui va vouloir être une princesse, s’il a 3 ou 4 ans, c’est plus dans la normalité des choses. On s’attend à cela d’un enfant d’âge préscolaire, mais pas s’il est rendu à 7 ou 8 ans. »

 

Faire appel à un clinicien ne signifie pas devoir renoncer à la bibliothérapie. Katy Roy et Sarah Bédard-Goulet ont pu observer comment cette approche a su illuminer la vie de personnes souffrant de problématiques graves de santé mentale ou de délinquance. Pourtant, les psychologues qui utilisent le livre avec les parents et les enfants ne développent pas nécessairement une expertise en bibliothérapie et les personnes qui étudient plus à fond l’usage du livre à des fins thérapeutiques ne possèdent pas toutes le titre réservé de psychothérapeute : « Depuis que j’utilise cette approche, je fais toutes sortes d’ateliers et de projets; j’ai eu l’occasion de parler à différents thérapeutes et éducateurs pour finalement comprendre que ces gens-là l’utilisent déjà, dans leur contexte de travail. Ils réfèrent déjà des livres ou des romans, soit des ouvrages de psychologie populaire. Mais comme ils ne connaissent pas le terme bibliothérapie, ils ne l’emploient pas et y vont de façon un peu plus spontanée ou intuitive, sans trop connaître les tenants et aboutissants de l’approche. », observe Katy Roy.

 

Mais les familles et les thérapeutes ont déjà le choix entre un grand éventail d’outils littéraires : les livres pratiques, expliquant directement des problématiques et suggérant aux parents ou aux enfants des comportements à adopter, les « livres à guérir », créés pour aider des enfants à aborder une problématique spécifique à l’aide d’un personnage plus ou moins symbolique et, enfin, les livres faisant partie du corpus de littérature générale. Ces derniers constituent le premier choix de Katy Roy et Sarah Bédard-Goulet, lorsqu’elles interviennent en contexte thérapeutique : « Se tourner vers des œuvres qui veulent pointer une chose ou délivrer un message, je trouve ça dommage, parce qu’il y a quand même une grosse partie du côté thérapeutique que l’on peut trouver dans la littérature qui passe justement par la forme littéraire et pas seulement par les mots ou le message qui sera délivré. Je veux dire que le plaisir esthétique de la lecture, qui est pour moi le plus important et que j’essaie de partager avec les enfants, c’est ça qui est thérapeutique et important. », mentionne madame Bédard-Goulet, à propos de ses choix professionnels.

 

D’ailleurs, ces intervenantes assurent que le livre ne connaît pas que du succès auprès des enfants paisibles et contemplatifs : « Ce qui est très populaire, et qui fonctionne beaucoup en ce moment, c’est ce qui touche le déficit d’attention avec hyperactivité. C’est sûr qu’il y a différents niveaux, mais, avec le parent qui fait la lecture, on a un accompagnement. Ils ont souvent beaucoup d’imagination », affirme Sophie Leroux. De son côté, Katy Roy affirme qu’en passant par la symbolique, il est possible d’aborder le livre de façon très active et d’amener les enfants à s’immerger concrètement dans l’action : « L’intériorisation, on le voit plus de notre regard d’adultes, quand on en parle. Je crois que ce qui est important, c’est l’expérience qui est vécue avec ceux qui nous habitent dans l’imaginaire. L’enfant va peut-être capter très rapidement des choses à travers le jeu, à travers le personnage de conte qui va être joué. Il n’aura pas eu besoin de méditer pendant 30 minutes. » 

 

Les parents doivent alors faire un choix devant un outil aux multiples possibilités. On peut néanmoins commencer par se situer entre deux grands courants théoriques qui tendent à faire plus fréquemment appel aux livres : les tenants du courant psychanalytique vont davantage compter sur l’expression des sentiments et des réflexions qui les entourent pour amener les adultes ou les enfants à résoudre leurs conflits intérieurs. Le courant cognitivo-comportemental, auquel s’identifie davantage Sophie Leroux, fait plutôt appel au raisonnement pour amener des changements de comportements : « Le personnage peut vivre toutes sortes de choses dans l’imaginaire, il reste qu’après, dans la vie de tous les jours, il ne saura pas nécessairement plus comment réagir ou quoi faire : il va s’être senti, en partie, libéré, soulagé. Il va s’être senti compris, ce qui est l’aspect aidant du conte ou du fantastique. Mais il reste que, concrètement, dans la vie de tous les jours, c’est important, surtout pour l’anxiété, de savoir que s’il évite ce qui lui fait peur, il va seulement augmenter sa peur. Ça, on peut bien le mettre dans une histoire; il va peut-être le sentir, le saisir un peu, mais jamais autant que si on lui explique quel est l’impact de son comportement et pourquoi il faut s’exposer. », explique-t-elle.

 

Nathalie Couture, qui dit avoir créé ses livres pour apporter un appui imagé à son travail de thérapeute cognitivo-comportementale, observe également que la limite des jeunes enfants à se transposer dans d’autres situations a guidé son choix vers une approche plus explicite dans ses livres : « Il y a des enfants qui sont beaucoup plus concrets. […] Ils ne sont pas capables de transposer : si on leur parle de la dictée du vendredi, pour le personnage, ils vont dire que ça ne leur arrive pas parce qu’ils n’ont pas de dictée le vendredi. Cela arrive de temps en temps. Parfois, ça peut être un mécanisme de défense, mais pas tout le temps, parce que si je leur donne un autre exemple, ils vont dire ‘’Ça, oui, ça m’arrive‘’. Alors là, il faut vraiment accompagner les enfants. Quand on est petit, c’est plus difficile de généraliser. »

 

Sophie Leroux suggère un autre moyen qui permet de faire le pont entre ce qui se passe en thérapie et dans la vie : continuer les lectures à la maison. Les parents et les enfants y trouvent alors ensemble un appui afin de poursuivre leur démarche entre les séances et ainsi, font de plus en plus appel à leur autonomie, dans l’évolution de la démarche : « Je pense que c’est une combinaison vraiment gagnante parce qu’il y a une partie du travail qui peut être faite directement avec la thérapeute et il y a une autre partie qui peut être approfondie et qui permet d’aller un peu plus loin, et surtout de reprendre [les concepts] au quotidien. Parce que la thérapie reste une modalité qui est structurée dans le temps, on voit généralement les enfants, en tout cas dans mon cas, toutes les semaines ou toutes les deux semaines. »

 

 

Il était une fois, une famille qui voulait bien lire

 

Bien sûr, quand on se sait un parent parfois imparfait, on n’est pas toujours certain d’être le meilleur lecteur du monde pour ses enfants. Mais, sur ce point, les expertes rencontrées se veulent rassurantes : l’art de raconter aux enfants s’apprend et, mis à part forcer les enfants à lire, il existe bien peu de maladresses qui ne puissent se rattraper. Sarah Bédard-Goulet suggère aux parents plus avides de conseils : « Déjà, s’ils ont envie de le faire avec les enfants, c’est plutôt positif. Cela ne prend pas d’aptitude particulière. On peut développer le rythme et l’intonation, ça se travaille. Regarder aussi : les enfants choisissent toujours les personnes qu’ils préfèrent pour leur lire les histoires, alors, peut-être de regarder ce que ces gens-là font pour voir comment ils le font pour s’améliorer aussi. »

 

Mais pour mettre toutes les chances de son côté, lors d’une lecture à la maison, les premiers pas vers l’émerveillement peuvent être réalisés avant même d’avoir posé les yeux sur le livre :

 

 

Chercher un livre qui s’adresse à nous

 

S’il y a bien un point sur lequel s’entendent les chercheurs, toutes approches confondues, c’est qu’il n’existe aucun livre permettant de résoudre les problèmes de tout un chacun. Cela ne signifie pas pour autant, à l’autre extrême, qu’il faille se limiter aux livres qui abordent directement sa problématique. Mais peut-être qu’il vaut la peine de prendre le temps de se laisser guider par son flair… ou par le bibliothécaire, et d’offrir quelques options à l’enfant, pour que lui-même fasse un choix. L’âge, la sensibilité, les préférences littéraires et la capacité d’abstraction de l’enfant peuvent alors être pris en considération. Le parent, lui aussi, doit se sentir à l’aise avec ce qu’il présente, et il est possible que certains livres jeunesse, européens notamment, qui utilisent parfois un ton un peu plus direct que ceux d’ici, éveillent ses réticences : « En fait, ce que je recommanderais aux parents est de regarder le livre, de voir si c’est quelque chose de sérieux, qui est l’auteur, et de le lire pour voir. Quand on ne se sent pas bien avec une lecture ou que l’on a l’impression que l’on est irrité, c’est signe que quelque chose ne nous convient pas : soit que le langage ne nous convient pas, soit que l’on n’est pas rendu là dans notre cheminement, soit que c’est trop direct pour nous. », suggère Sophie Leroux.

 

 

La démarche doit s’adresser avant tout aux émotions

 

Bien sûr, le livre peut servir à apprendre et à voyager, mais pour qu’il puisse contribuer à l’évolution sur le plan des émotions, on propose de se tourner vers des ouvrages qui ne font pas trop appel aux connaissances de l’enfant, afin qu’il se concentre sur ses émotions : « C’est vraiment le fait de susciter chez l’enfant une discussion qui va permettre d’être plus dans la réponse émotive du texte et de rester très proche de l’enfant et du langage symbolique qui est utilisé dans le conte, et du langage que l’enfant lui-même doit utiliser pour exprimer ce qui l’interpelle dans une histoire. Dès que l’on sort de ce langage symbolique, on s’éloigne de ce que peut vraiment être l’expérience de bibliothérapie. », affirme Katy Roy.

 

 

Se mettre à hauteur d’enfant 

 

Qui dit émotion suppose aussi authenticité de la part de l’enfant comme du parent. Pourtant, plusieurs intervenantes croient qu’il peut être plus sage, pour le parent, de laisser l’enfant s’exprimer sur ce qu’il lit avant de donner son impression, car l’avis du parent a beaucoup d’importance pour l’enfant, qui pourrait chercher davantage à lui plaire qu’à s’adonner à sa propre exploration. Cependant, pense Sarah Bédard-Goulet, puisque l’enfant demeure très à l’écoute de ce que semble ressentir son parent, il vaut peut-être mieux ouvrir le jeu… et bien choisir ses mots : « Si l’enfant sent que, physiquement, on se contracte un peu, je crois que c’est bien de le dire “Je me sens comme ça parce que je vois ça et ça me fait ça”. Mais exprimer ses émotions, ce n’est pas dire à l’enfant “Eh bien voilà : tu dois penser comme ça”. Il y a donc une nuance entre les deux et je crois que c’est ce qui est le plus important : dire ce que l’on ressent sans le présenter comme la bonne réponse. »

 

 

Se laisser guider vers un dialogue

 

Le fait d’amener l’enfant à nous raconter l’histoire à sa manière peut aussi nous en apprendre beaucoup sur la manière dont il l’a perçue et ressentie. Toutefois, pour que l’enfant ose se dévoiler, il faut souvent que le parent sache se faire bon interrogateur, en évitant autant que possible que l’échange puisse s’apparenter à une évaluation. « Je n’irai pas du tout dans le côté descriptif;  par exemple, je ne lui poserai pas des questions qui vont tester ses capacités de lecture “De quelle couleur est le chapeau de la princesse?” ou “Combien il y a de nains dans l’histoire? ”, parce que cela va vraiment du côté cognitif, de l’école, et ce n’est pas du tout cela que l’on veut encourager : nous, on veut vraiment aller voir au niveau du ressenti, au niveau du plaisir de la lecture », mentionne Sarah Bédard-Goulet, en ajoutant que ces interrogations peuvent porter autant sur le contenu et les raisons du choix du livre que sur les mots, les sons et les rythmes, auxquels les enfants se montrent généralement très sensibles.

 

Une solution que propose aussi Sophie Leroux est de s’en tenir à des questions ouvertes : « Généralement, les questions que l’on peut poser sont des questions ouvertes, qui aident à amener un dialogue : les questions qui commencent par “Comment…”, “Qu’est-ce que…”, “Qu’est-ce que tu en penses?”, “Comment tu as trouvé cela?” sont des questions gagnantes, plutôt qu’une question fermée comme “As-tu aimé le personnage?”. Ici, l’enfant va répondre oui ou non, mais cela ne suscitera pas de discussions. » Et si le parent craint de manquer d’inspiration pour ses questions, une solution peut consister à d’abord aller chercher un petit coup de pouce du côté des livres pratiques de psychologie pour enfant, dont certains, en plus de contenir des récits, proposent des questions que les parents peuvent poser aux enfants.

 

 

Laisser Spider-Man faire son travail

 

Ce moment partagé, où l’enfant est amené progressivement plus près de ses propres émotions, peut l’amener à vouloir se faire raconter l’histoire à nouveau, à s’identifier à certains personnages, et peut-être même à bombarder son parent à son tour de questions sur les personnages qui  l’inquiètent ou le fascine. Jusqu’ici, tout va bien : c’est bon signe. Mais lorsque le petit dernier se met à se prendre pour Spider-Man, que la même histoire est demandée pour la trentième fois ou que les cauchemars se mettent de la partie, les parents peuvent devenir un peu plus perplexes. Certains intervenants suggèrent alors de s’assurer que les récits ou même les films sont adaptés à l’âge ou à la sensibilité de l’enfant, ou de tenter de comprendre s’il n’y aurait pas là les signes d’une angoisse requérant une intervention professionnelle. Cependant, Sarah Bédard-Goulet pense que l’on doit parfois simplement laisser le temps au travail intérieur de se faire : « Si on parle avec l’enfant de la cigale et de la fourmi et qu’il peut nous expliquer son blocage par rapport à ça, et qu’il parvient à mettre des mots sur la colère qu’il éprouve face à cette situation, la colère, petit à petit, va peut-être se tempérer. Mais elle va toujours rester, heureusement, contre l’injustice. Je ne crois pas que cela amène un blocage chez l’enfant, même si les mêmes histoires reviennent plusieurs jours de suite. Cela peut prendre du temps avant que le travail se fasse : “Ok, ce n’est pas correct, mais la fourmi le fait quand même parce qu’il y a des gens comme ça. »

 

 

Note de lecture : ne pas oublier le plaisir

 

Si ces praticiennes passionnées sont ainsi parvenues à vous convaincre que le livre ouvre de belles perspectives, toutes sont également d’avis qu’il ne faudrait pas forcer la lecture dans une perspective thérapeutique. Un parent qui n’a pas vraiment envie de lire, ça s’entend, et ce n’est pas vraiment propice à un moment de rapprochement. Du côté de l’enfant, Nathalie Couture affirme que la perte de plaisir peut nuire directement à son effet thérapeutique : « Il y a des enfants qui, lorsqu’ils sentent qu’il y a trop de contrôle autour d’eux, vont mentir pour ne pas avoir à répondre aux attentes, pour faire taire les parents. Mais cela est vrai pour tous les mensonges des enfants. Cela peut aussi faire en sorte que, lorsqu’il va revenir à mon bureau, il va vouloir encore moins, parce que si on l’a achalé toute la semaine avec ça, et que cela ne lui tentait pas, il va se dire “Ah non, pas encore elle”. Donc, en thérapie, et pas juste pour le livre, je dis aux parents de ne pas forcer les enfants. »

 

Par ailleurs, en gardant en tête qu’il n’est pas nécessaire qu’il soit inscrit « livre de psychologie pour enfant » sur une œuvre pour qu’elle parvienne à faire du bien, Sarah Bédard-Goulet, qui a fini par dévorer toute la bibliothèque de son école primaire, suggère qu’il vaut mieux laisser une belle place à l’impulsion, comme celle qui pousse à faire un détour pour aller chercher une friandise, si on veut préserver le plaisir de lire et le pouvoir d’aider : « Peut-être qu’il serait important de lire autre chose aussi; de ne pas toujours lire mêmes livres qu'on lit dans les séances, mais autre chose à côté, parce que, finalement, c’est un peu comme les livres qu’on lit à l’école, qui sont toujours un peu moins bons que ce qu’on lit en dehors de l’école. Et ce n’est pas nécessairement parce qu’ils sont plus faciles ou que c’est de la bande dessinée; il peut s’agir de livres d’aussi bonne qualité, sauf qu’il n’y a pas le plaisir de découvrir par soi-même. »

 

 

Merci à :


Katy Roy, bibliothérapeute de La Bibliothèque Apothicaire labibliothequeapothicaire.com/, auteure d’un mémoire de maîtrise en littérature et en préparation d’un doctorat en psychologie sur le renouvellement des représentations symboliques de personnes signifiantes par l’utilisation de l’imagerie mentale dans la bibliothérapie, l’UQTR

 

Sophie Leroux sophielerouxpsy.com/ psychologue au CHU Sainte-Justine et auteure de Aider l’enfant anxieux, un guide pratique pour les parents et les enfants (2016) aux Éditions de Sainte-Justine

 

Nathalie Couture, psychologue et co-auteure des albums Incroyable Moi maîtrise son anxiété (2011), Formidable Moi apprend à vivre avec des parents séparés (2013), Extraordinaire Moi calme son anxiété de performance (2014), Super Moi surmonte sa timidité (2015) et Trucs de super héros pour calmer l’anxiété (2015) aux Éditions Midi Trente[2]

 

Sarah Bédard-Goulet, chercheure en littérature et auteure de la thèse Lecture et réparation psychique, Le potentiel thérapeutique du dispositif littéraire[3] (2012) déposée à L’Université de Montréal et à l’Université de Toulouse II-Le Mirail