Petits monstres 101

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Date de publication

lundi 03 mai, 2004

Ressource

Steve Proulx

En janvier dernier, la cour suprême imposait, non sans soulever la controverse, des balises plus claires concernant la fessée : on peut désormais punir un enfant de 2 à 12 ans en lui administrant une « tape ». Il est toutefois interdit d’utiliser des objets (règles, cuillères) ou atteindre la tête. Pour le psychologue et auteur du livre Éduquer sans punir Thomas Gordon, la fessée, comme toute autre forme de punition, est improductive, voire néfaste pour le sain développement de l’enfant. Son credo : l’autodiscipline.

 

Tout bon parent ou futur parent devrait mettre la main sur un exemplaire d’Éduquer sans punir. En quelque 240 pages, le Dr Gordon défait point par point ces théories largement répandues concernant l’éducation des enfants. Les techniques de punition, de récompenses et de contrôle passent au crible et sont, l’une après l’autre, déconstruites et jugées inefficaces.

 

Chasser les idées reçues

Les conclusions de l’auteur sont aussi surprenantes que convaincantes. Elles remettent en question la façon dont le parent devrait aborder son rôle… à commencer par une réflexion sur le concept d’« autorité ». Selon le Dr Gordon, l’autorité se présente sous plusieurs facettes. On trouve d’abord l’autorité fondée sur l’expérience, celle qui « découle de l’expérience d’une personne, de son savoir, de sa compétence, de sa sagesse ». Un père de famille peut être une autorité en matière d’automobile, par exemple.

 

L’autorité fondée sur la position est celle qui justifie qu’une mère puisse se plier aux exigences de ses enfants en ce qui concerne les marques de jus, puisque c’est à elle qu’incombe la responsabilité de faire l’épicerie. D’autre part, l’autorité fondée sur les ententes informelles, selon Gordon « découle des nombreux accords, ententes et contrats que les gens concluent dans leurs interactions quotidiennes ». Par exemple, une entente selon laquelle celui qui termine le rouleau de papier hygiénique soit responsable de son remplacement.

 

Toutes ces formes d’autorité ne posent généralement aucun problème aux membres d’une famille, contrairement à la dernière forme d’autorité : celle fondée sur le pouvoir. Celle-ci « découle du pouvoir que détient une personne sur une autre ». Elle englobe les activités qui visent à maîtriser, à dominer et à forcer les autres à se plier à leur bon vouloir.

 

Selon Thomas Gordon : « Les enfants ne respectent pas l’autorité fondée sur le pouvoir ». Par conséquent, ils auront tendance à se dérober à la domination de l’autre et à tenter de la contourner de toutes les façons possibles (ainsi, un adolescent à qui l’on a vigoureusement interdit de sortir le soir risque de s’enfuir en douce par la fenêtre de sa chambre…).

 

La révolte, le repli sur soi, l’impolitesse, l’agressivité, la perte de confiance en soi, entre autres, sont des façons pour l’enfant de réagir à l’autorité fondée sur le pouvoir. « Pourquoi voudrait-on employer le pouvoir si on obtient des comportements comme ceux-ci? », écrit Gordon. Pour le psychologue, les parents doivent enseigner et non contrôler, influencer et non dominer, promouvoir l’autodiscipline plutôt qu’une discipline imposée. Plus facile à dire qu’à faire.

 

Des solutions

Heureusement, l’auteur d’Éduquer sans punir propose plusieurs solutions afin d’éliminer l’autorité fondée sur le pouvoir, mais aussi éradiquer les punitions, les récompenses, les compliments, les châtiments corporels et toutes ces autres pratiques moyenâgeuses sensées dompter les enfants comme s’il s’agissait de petits chiens dressés... Quelques solutions de rechange.

 

Le problème du parent

Fait : les enfants ne sont pas méchants, ils ont parfois des comportements qui vont à l’encontre de ce qui est considéré comme acceptable aux yeux du parent. C’est une nuance importante. L’enfant « fait ce qu’il a besoin de faire pour satisfaire un de ses besoins », soutient Gordon. Le problème survient lorsque la satisfaction de son besoin gêne le parent. Dans ce cas, plutôt que de grimper dans les rideaux, quelques solutions simples sont à la portée de ceux-ci pour changer un comportement « gênant » en un comportement « acceptable ». Par exemple :

 

1. Faire un échange. Un enfant qui joue avec un bibelot fragile sera probablement aussi heureux de jouer avec un bibelot incassable.

2. Comprendre le besoin de l’enfant. En lui posant des questions pour savoir pourquoi il éprouve le besoin de tirer les cheveux de sa sœur et tenter, par la suite, de trouver une solution.

 

Le message du « je »

Plutôt que de dire à l’enfant d’un ton accusateur : « Finis ton assiette ou tu n’auras pas de dessert », le Dr Gordon propose la technique du « je ». Celle-ci permet de diriger le problème vers soi-même, sans accuser l’enfant. En d’autres mots, mieux vaut faire savoir à l’enfant comment son comportement influe sur votre bien-être.

 

Ainsi, plutôt que de lancer « Je t’ai dit 100 fois de ranger ta chambre! » le parent pourrait demander : « J’aime lorsque tu ranges ta chambre. Ainsi, je sens que la maison est propre et ça me rend de bonne humeur. » Avec le message du « je », les enfants se rendent compte que leurs parents sont aussi des êtres humains, avec des besoins, des désirs et des préférences.

 

L’écoute active

L’écoute active est une autre technique proposée par le psychologue. Celle-ci consiste à se placer dans une position empathique par rapport à l’enfant afin de l’écouter sans le juger. Les questions posées viseront à permettre à l’enfant de faire lui-même le point sur la situation. Puisque Gordon s’oppose aux compliments, il propose la technique de l’écoute active pour aider l’enfant à cesser de chercher l’approbation des autres, ce qui renforce sa confiance en soi.

 

Donc, quand un enfant demande : « Trouves-tu que mon dessin est beau? » Le parent qui maîtrise l’écoute active répondra : « Toi, le trouves-tu beau? » Et l’enfant de répondre : « Oui, mais j’aurais pu mieux colorier mon ciel… » Grâce à l’écoute active, plutôt que de complimenter, le parent se place dans une position où il peut aider l’enfant à résoudre lui-même ses problèmes, à s’autocritiquer et à moins chercher l’approbation des autres. Une bonne façon de promouvoir l’autonomie!

 

Parent ou psychologue?

Faut-il maîtriser avec brio les subtilités de la psychologie humaine afin de pouvoir éduquer nos petits monstres? À la lecture d’Éduquer sans punir on constate que l’art d’être parent est loin d’être simple.

 

En effet, lorsqu’un enfant redécore sa chambre en gribouillant ses murs avec ses crayons-feutre, comment aborder la situation avec calme et contrôle en jonglant sans peine avec le message du « je » et l’écoute active? N’est-il pas plus simple et efficace de succomber à la colère, distribuer quelques fessées « légales » et obtenir des résultats rapides et concrets?

 

Malheureusement, les solutions faciles règlent rarement les problèmes complexes. Assurer à son enfant un développement optimal et l’aider à devenir un adulte autonome est probablement le plus grand projet qu’un parent aura à réaliser.

 

Éduquer sans punir n’offrira peut-être pas une solution « en 10 étapes faciles » pour apprendre l’autodiscipline aux enfants, mais il proposera des pistes drôlement intelligentes qui valent la peine d’être considérées.

 

Éduquer sans punir – Apprendre l’autodiscipline aux enfants par le Dr Thomas Gordon. Collection Parents aujourd’hui, Les Éditions de l’Homme, 2003, 21,95 $.