La revanche des pères

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Date de publication

dimanche 01 décembre, 2002

Ressource

Steve Proulx

On redécouvre le père ces temps-ci. On l’analyse, on le décortique, on le critique. On le réclame... Le père, celui que l’on croyait disparu depuis belle lurette, semble sortir des oubliettes. Soudainement, l’envie maladive nous prend de redéfinir son rôle, de réévaluer sa place au sein de la famille. Qu’est-ce que la paternité aujourd'hui ?

 

La petite histoire des pères

L’historien français Jean Delumeau situe l’âge d’or des pères vers la fin du XVIIe siècle. « Le père, alors totalement incontesté, engendre, nourrit, éduque et instruit », écrit-il dans le livre Histoire des pères et de la paternité (1990). Par la suite, une série d’événements ont fait perdre au père son rôle de chef, de guide, de protecteur et de pourvoyeur : l’éducation publique (au Moyen Âge, le père éduquait ses enfants), la laïcisation, la libération de la femme, la fécondation in vitro, les divorces et la garde partagée qui va, le plus souvent, à la mère... Sans s’empêtrer dans les détails historiques, il est clair que la place du père a perdu de son lustre.

 

Mais depuis quelques années, on semble vouloir retrouver ce père disparu. On veut non seulement qu’il prenne sa place au sein de la famille, mais on cherche à redéfinir son rôle et à évaluer son importance. Mais, tout compte fait, le père est-il vraiment important ?

 

L’importance du père

Le lien biologique qui unit la mère à l’enfant est évident; celui du père l’est moins. Pourtant, il existe bien un lien biologique fort entre le père et son enfant. Le psychologue Boris Cyrulnik (1990) écrivait d’ailleurs : « On sait que le père est porteur d’une odeur de musc qui le caractérise, que la mère inhale ses molécules odorantes et qu’en fin de grossesse, on les retrouve dans le liquide amniotique ». Voilà donc une preuve que l’odeur du père est reconnue par le bébé avant même sa naissance ! Au cours des premiers jours de sa vie, le bébé apprend à reconnaître et à apprécier l’odeur et la voix des gens qui le lavent, le bercent, le chatouillent. Démuni, le bébé cherche des odeurs qu’il connaît pour le rassurer : celle de sa mère et... celle de son père. C’est à ce moment que la présence du père est plus qu’importante. Malheureusement, dans la plupart des cas, les congés de paternité ne durent pas assez longtemps pour soutenir cet attachement par le corps qui est si important pour le développement de l’enfant.

 

Mais ce lien biologique n’est pas la seule chose qui sert à définir la paternité. Avec les années, le lien biologique qui relie un enfant à son père se transforme en un lien beaucoup plus social. Le père, au sein de la famille, propose à l’enfant un modèle social qui est différent de celui de la mère. Cette spécificité du rôle du père par rapport à celui de la mère est déterminante dans le développement social de l’enfant. En d’autres mots, le père donne à l’enfant une autre vision du monde, d’autres façons d’aborder les situations, et cette richesse d’expériences est bénéfique. Malheureusement, dans un contexte où les divorces font souvent que les pères ont de la difficulté à assurer une présence soutenue auprès de l’enfant, un grand pan de relations sociales version mâle est plus ou moins escamoté.

 

Le père comparé à la mère

Le père ne peut pas remplacer la mère, et vice-versa. Il existe de profondes différences entre les pères et les mères, et c’est la combinaison des deux rôles parentaux qui contribue à enrichir les connaissances transmises à l’enfant et, ainsi, à mieux assurer son développement. Dans un article intitulé Portraits de pères (2002), la professeure en psychoéducation à l’Université du Québec en Outaouais, Diane Dubeau, note les grandes différences entre les pères et les mères. D’abord, le type d’activités dans lesquelles les pères sont plus engagés est différent. Alors que les mères s’occupent plus souvent des activités de soins apportés aux enfants, les pères sont davantage mis à contribution dans un contexte de jeu, tel que les jeux physiques. Il n’y a rien de malsain à ce qu’un père se chamaille avec son fils. C’est même profondément humain. Ensuite, les échanges verbaux entre père et enfant sont différents. Comme l’écrit madame Dubeau : « Les pères [...] verbalisent moins (que les mères), ils le font davantage sous la forme impérative (« Tu vas prendre les rails et je vais monter la gare. »). Sur le plan du langage, les pères seraient vus comme des partenaires plus exigeants que les mères. Enfin, il est plus fréquent de voir un père qui adopte un comportement non conventionnel avec l ’enfant (moqueries, grimaces, etc.). Prenons l’exemple d’un père qui insère soudainement une carotte dans l’oreille de son bébé. Cette situation est perçue par ce dernier comme un événement totalement inattendu : doit-il rire ? pleurer ? manger la carotte ? Ces comportements irrationnels (et typiquement paternels) déstabilisent l’enfant dans son petit monde prévisible et lui permettent de « développer ses habiletés d’auto-contrôle ».

 

Considérant ceci, le père, au lieu de vouloir se substituer au rôle de mère, a tout intérêt à tirer profit de ces différences complémentaires et à accentuer sa présence auprès de l’enfant. Si le modèle ancestral du père autoritaire n’est plus pertinent, celui du père poule ou du père qui veut remplacer la mère ne l’est pas davantage. Le père est une personne différente; son rôle est spécifique et nécessaire.

 

La mère est-elle plus importante que le père ?

Ce n’est pas une question évidente, mais elle doit tout de même être posée. En effet, on aurait tendance à dire que, pour l’enfant, la mère est plus importante que le père dans la mesure où celle-ci le met au monde... C’est une déduction un peu simpliste. En fait, l’idée n’est pas de choisir quel parent est le plus important. C’est plutôt leur engagement mutuel envers l’enfant et la personnalité propre à chaque parent qui feront la différence en définitive. Un enfant qui est privé de sa mère se développe-t-il mieux qu’un enfant dont le père est absent ? De façon générale, les études tendent à démontrer que l’engagement du père a des effets très positifs sur le développement de l’enfant. Les enfants dont le père est présent activement dans leur vie auraient des compétences cognitives supérieures, mais auraient aussi plus de facilité à s’adapter socialement. L’enfant sans père pourrait développer des problèmes de comportement à l’école. De plus, selon des chercheurs, les adolescentes dont le père est absent éprouveraient plus de difficultés dans leurs relations hétérosexuelles. Mais il ne faut pas dramatiser : tous les enfants du divorce ne deviennent pas des criminels ou des mésadaptés sociaux parce que leur père est absent ! Malgré tout, lorsqu’on veut le meilleur pour son enfant, il faut mettre toutes les chances de son côté et rassembler toutes les conditions gagnantes pour assurer le meilleur développement possible à son enfant. Malheureusement, nous n’avons pas encore trouvé meilleure condition gagnante que ce petit triangle magique père-mère-enfant qui existe depuis des millions d’années ! Au sein de ce triangle magique, aucun point n’est plus important qu’un autre... Et nous ne sommes malheureusement pas assez évolués pour y changer quoi que ce soit...

 

Pour plus d’information sur le rôle des pères :

DUBEAU, Diane. Portraits de pères.

[En ligne], adresse URL : http://www.vifamily.ca/ivf/cft/peres/peres.htm

OLIVIER, Christiane. Petit livre à l’usage des pères, France, Fayard, 1999.